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est d’accord avec le ministre incriminé, elle l’approuve, — et c’est le cas le plus général ; — si elle le désapprouve par un ordre du jour, elle le renverse, et comme elle hésite à ébranler le gouvernement pour un intérêt privé qui lui importe peu, le tout finit par un déni de justice.

Ces conseils de préfecture, en somme, qui dans le principe devaient être des juges, que jugent-ils ? Si l’on s’en rapporte à la statistique, celui de la Seine a 30.000 affaires par an, trois autres ont de 20,000 à 22,000, neuf de 15 à 20.000, huit de 10,000 à 15,000, etc. ; mais presque toutes ces soi-disant affaires sont des réclamations fort simples de contributions directes, ne donnant lieu à aucune procédure, et dont les véritables arbitres sont les directeurs départementaux, dont l’avis est toujours adopté. Il n’y a donc aucun inconvénient à laisser ces fonctionnaires seuls responsables, puisqu’ils sont seuls compétens, et le ministre de l’intérieur l’avait proposé. Ces affaires déduites, il ne reste que 1.340 litiges à Paris, 400 à 500 dans les grands départemens et une centaine à peine dans les petits. On voit ce que l’attribution à la juridiction ordinaire des procès de ce genre donnerait de besogne aux tribunaux d’arrondissement entre lesquels ils seraient répartis : 50 à 100 affaires par an, une misère, puisque là-dessus il est beaucoup de questions de voirie, sans importance. Que dire des attributions purement administratives des conseillers de préfecture ? Je parle de celles qu’ils exercent et non de celles qu’ils sont censés exercer, telles que leur coopération fictive aux « arrêtés du préfet pris en conseil de préfecture. » Le législateur, dit solennellement une circulaire ministérielle de 1884, « veut que le préfet, avant de prendre sa décision, s’éclaire des lumières et de l’expérience de fonctionnaires (la plupart âgés de vingt-cinq à trente ans) appelés souvent à se prononcer sur des difficultés analogues. » Trois ans après, l’exposé des motifs du projet de loi de 1887, expliquant que « le préfet statuera seul dans les cas où il statuait jusqu’ici en conseil de préfecture, » ajoutait ingénument : On sait qu’il n’y avait là qu’une sorte de formalité. Effectivement, chacun de ceux qui ont reposé, pendant quelques mois, sous le toit d’un hôtel préfectoral le savent ; mais il n’est pas désagréable de l’entendre dire ; il est d’ailleurs bien d’autres formalités que l’on continue à encenser comme des dieux.

Quelquefois le conseiller de préfecture supplée le préfet et fait fonction de secrétaire-général ; grâce à cette dualité, le même homme peut être appelé à se prononcer, en tant que juge, sur une affaire qu’il aura ordonnée, instruite et même approuvée comme préfet intérimaire ; ou bien pris à l’improviste pour remplacer le commissaire du gouvernement à l’audience, il sera peut-être forcé