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combinées des puissances législatives, exécutives et judiciaires. Viennent-ils à tomber ? D’autres les remplacent qui agissent de même, mais dans un sens différent, contraire quelquefois ; elle moindre inconvénient de ces reviremens, ce sont des coupes sombres dans le personnel de l’état d’hier, que l’état d’aujourd’hui met au rebut.

A tout cela il semble qu’il faille se résigner, on n’y voit point de remède. Mais si l’on ne peut ni supprimer les partis, ni suspendre le cours des incidens et accidens qui leur donnent successivement l’autorité, ni changer les conditions dans lesquelles ils exercent cette autorité précaire, il est possible du moins de restreindre la sphère d’action de ce qu’on appelle l’état, c’est-à-dire du « parti régnant, » dans des limites plus étroites. Nous avons vu, à l’occasion du ministère de l’intérieur, qu’une démocratie absolue comme la nôtre fait peser sur elle-même un joug insupportable quand elle prétend nationaliser des questions dont la solution peut être morcelée par quatre-vingts, par trois cents, par trente mille assemblées locales ; que, par conséquent, la réforme administrative consistera d’abord à décentraliser tout ce qui peut l’être sans inconvénient (et chacun sait si la matière manque). Elle devra soustraire ensuite à l’intervention de l’état tout ce dont il a intérêt à se désintéresser, tout ce qu’il ne peut protéger ni proscrire sans blesser une portion de ses membres : au premier rang, dans cette catégorie, figurent les cultes. Quant aux services qui incombent nécessairement à l’état, la justice par exemple, la réforme aura pour but d’en organiser le fonctionnement de telle sorte qu’ils vivent par eux-mêmes, d’une vie propre, étrangers aux agitations des partis, à l’abri des fluctuations de la politique.

Rien n’est moins exact que la prétendue séparation des pouvoirs en législatif, exécutif et judiciaire, dont on fait remonter l’origine à la révolution, et dont on enseigne la théorie aux jeunes étudians dans les écoles de droit. Qu’il soit malaisé de maintenir séparés trois rouages qui donnent ensemble l’impulsion à la même machine, cela se devine ; mais a-t-on fait depuis cent ans, dans cette voie, des efforts sérieux ? L’examen de notre mécanisme actuel de gouvernement ne nous montre-t-il pas le pouvoir judiciaire depuis longtemps asservi par l’exécutif et le législatif, lesquels empiètent sans cesse l’un sur l’autre et possèdent alternativement la prééminence ? Depuis dix-huit ans, nous assistans aux débordemens du législatif ; le peuple même paraît las de ses représentais les plus directs, mais nul ne songe à rendre au pouvoir judiciaire un peu de cette indépendance qui lui serait plus nécessaire encore en une république qu’en une monarchie.