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faire dans les cours en recourant à l’intimidation. Ce n’était pas ce qu’ambitionnait le prince président; il voulait altérer les rapports des trois cours du Nord, rompre la sainte-alliance; sa tactique était de caresser la Prusse, d’encourager ses prétentions sur l’Allemagne, sans trop se découvrir, et de la mettre en conflit avec l’Autriche pour se constituer l’arbitre de leurs démêlés. Plus nous restions silencieux, plus notre attitude, dans sa pensée, devait donner à réfléchir aux cabinets de Vienne et de Pétersbourg et stimuler les tendances révolutionnaires de la cour de Potsdam. Les lettres de son envoyé le rendaient nerveux ; il lui prêchait la prudence sans y réussir. M. de Persigny avait l’amour de la controverse ; malgré lui, il se laissait entraîner inopportunément dans des discussions irritantes avec des personnages qui, dans les conseils du gouvernement prussien, n’étaient ni consultés ni écoutés. Un soir, il s’emporta avec le frère du roi, le prince Charles, dont les idées étaient étroites et les mœurs équivoques.

« Rien n’est plus curieux, écrivait-il, que mes conversations avec les princes et princesses de la maison royale. La princesse de Prusse, chaque fois que je l’ai rencontrée, m’a parlé de la duchesse d’Orléans avec une exaltation affectée; mais, en femme d’esprit, elle n’a pas dépassé les bornes, tandis que le prince Charles a mis sottement les pieds dans le plat. Il a soulevé nettement avec moi la question des prétentions de la duchesse d’Orléans et m’a dit plus nettement encore : « Oh! je pense bien que son fils ne tardera pas à être roi de France ! » Vous jugez de ma stupéfaction, aussi lui ai-je dit : « Votre Altesse Royale arrange à sa guise l’histoire de France: » et, sans attendre qu’il eût, suivant l’usage, mis fin à la conversation, je lui ai fait un profond salut et lui ai tourné le dos. Il me serait impossible de vous faire le tableau des préjugés de la cour de Berlin contre la France. Il n’est pas un salon où l’on ne dise à tout instant : « Oh ! la France ne compte plus, il n’y a plus à s’en inquiéter; » quant à votre gouvernement, prince, il inspire les mêmes sentimens que celui du roi Louis-Philippe. On lui demandait une foule de services humilians sans l’ombre de reconnaissance. Le jour même où l’on apprenait sa chute, Frédéric-Guillaume et toute sa famille assistaient à un bal où la joie éclatait sans vergogne. La princesse de Prusse seule refusa d’assister à cette fête, seule elle témoigna dans ces circonstances d’un noble et digne caractère. Tandis qu’on dansait, elle faisait prier dans toutes les églises pour une mère cruellement éprouvée.

« La correspondance de M. de Hatzfeld ne contribue pas peu à entretenir ces préjugés; c’est un homme très sensé, très sage, mais il vit à Paris avec des légitimistes et des orléanistes. Il ne