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à gagner du temps, à effrayer les cours allemandes, à impressionner le roi en évoquant les souvenirs de la sainte-alliance, et surtout à susciter des défiances entre Paris et Berlin.

Le ministre de Prusse, le comte de Hatzfeld, s’était fait à Paris une grande situation et, malgré ses attaches légitimistes, il était particulièrement bien vu à l’Elysée. Il le devait à l’influence de son beau-père le général de Castellane, à l’esprit de Mme la comtesse de Hatzfeld, et aussi à son tact et à sa loyauté. Partisan convaincu d’une entente entre les deux pays, il protestait des sympathies de son gouvernement pour le prince président et de son désir de les lui témoigner en toute rencontre. Si les rapports entre Paris et Berlin laissaient parfois à désirer, cela tenait moins, affirmait-il, aux dispositions de sa cour qu’à notre ministre, le comte de Lurde, un légitimiste endurci qui ne tentait aucun effort sérieux en vue d’un rapprochement. M. de Hatzfeld donnait à entendre qu’un envoyé plus autorisé et plus chaleureux de la pensée du prince aplanirait les difficultés et permettrait aux deux cabinets de s’associer dans une commune politique. D’après lui, M. de Persigny était tout indiqué pour représenter la France à Berlin. Il avait séduit le roi, disait-il, par la franchise de ses allures et la vivacité de son esprit, lorsqu’en 1849 il était venu en mission secrète à Potsdam, pressentir les sentimens de sa majesté pour le prince président. Mais Louis Napoléon faisait la sourde oreille ; il appréciait les qualités de son ancien compagnon d’exil, il reconnaissait les services qu’il lui avait rendus, il le tenait pour un ami sûr et dévoué ; toutefois, s’il rendait hommage à ses mérites, il n’ignorait pas ses travers ; son tempérament effervescent, ses susceptibilités passionnées et surtout l’intempérance de son langage, ne le désignaient pas pour être, dans un poste plein d’écueils, l’interprète d’une politique qui tenait moins à s’affirmer qu’à se laisser pressentir. M. de Persigny, comme le cardinal de Retz, au dire de l’abbé de Choisy, « avait un petit grain dans la tête, » et c’est ce petit grain que redoutait le prince président. Aussi les insinuations de M. de Hatzfeld restaient-elles sans écho. Ce n’était pas le compte de son gouvernement, qui, engagé dans de graves entreprises et à la veille des élections au parlement d’Erfurt, tenait absolument à se prévaloir de l’assistance morale de la France pour impressionner ses adversaires et encourager ses partisans. M. de Schleinitz se retourna vers la grande-duchesse Stéphanie, que Louis Napoléon, à cette époque, écoutait volontiers. Le ministre de Bade à Berlin était inféodé à la politique prussienne, il l’envoya à Manheim pour exposer à Son Altesse Impériale les avantages que son neveu, sans appui en Europe, retirerait de la présence, à la cour du roi Frédéric-Guillaume, d’un personnage jouissant de son intime confiance.