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rester la fête de la nation pour ainsi dire, la commémoration publique de la révolution dans ce qu’elle a eu de plus pur, de plus légitime et de plus incontesté. C’est la première date, la date de l’avènement d’un monde nouveau, celle que les malheurs et les crimes n’ont point obscurcie, que tous les Français peuvent fêter, parce que pour tous elle représente ce qui est désormais acquis, l’égalité des droits, l’abolition des privilèges, l’unité sociale et politique du pays. C’est la date de la France nouvelle, et si quelque chose peut prouver, après cent ans, que la révolution est finie, que les passions qui prétendent encore la continuer sont désormais factices, c’est le calme avec lequel tout s’est passé. Le chef de l’État qui est aujourd’hui M. le président de la république, et qui aurait pu tout aussi bien porter un autre titre, s’est rendu à Versailles accompagné des ministres, des présidens des chambres, de tout un cortège officiel. Il a visité en cérémonie la salle des Menus-Plaisirs où il a retrouvé les souvenirs des états généraux qui allaient être la première assemblée constituante ; il est allé de là au vieux palais de la royauté, dans le salon des glaces, où des discours de circonstance ont été prononcés par tous les dignitaires de l’État, où M. l’évêque de Versailles lui-même n’a point hésité à haranguer le premier magistrat de la république. Ni grande foule ni démonstrations extraordinaires, c’est le bilan de la journée à Paris, et au demeurant si, au départ du cortège officiel pour Versailles, il n’y avait eu l’acte d’un misérable fou qui n’a eu peut-être d’autre idée que de faire parler de lui en tirant sur la voiture de M. le président de la république, tout se serait passé aussi simplement, aussi pacifiquement que possible. C’était la célébration d’un événement de l’histoire !

Que dans quelques-uns des discours qui ont été prononcés il y ait eu l’intention de confondre dans cette date du 5 mai la révolution tout entière, l’émancipation d’un peuple et les excès qui l’ont compromise en la déshonorant, qu’il y ait eu des euphémismes pour voiler ce qu’il aurait mieux valu désavouer avec éclat, c’est possible. En réalité, il est certain que la masse de la population, même à Paris, n’est pas aux manifestations révolutionnaires, aux tentatives de réhabilitation des époques sinistres. Ce que la France a célébré, ce qu’elle entend célébrer, c’est bien 1789, ce n’est pas 1793 ; ce qu’elle a fêté, ce qu’elle a voulu fêter, c’est l’ère de la grande reformation nécessaire, ce n’est j)as l’ère des exécutions et des proscriptions, dont le souvenir a si longtemps pesé et pèse encore sur ses destinées : elle l’a montré par son altitude, par son calme, et par le fait, dans cette journée du 5 mai, la France a prouve qu’en dépit des partis elle reste toujours la nation aux instincts justes et modérés, comme elle a prouve le lendemain, par l’exposition, qu’en dépit de ses épreuves elle n’a rien perdu de la fécondité de son génie, de son courage au travail, de son énergie inventive, de l’éclat de ses arts et de ses industries.