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de Florence, à Rome sur le Pincio, à Naples, au Caire et à Munich, à Dresde et à Londres, partout chez elles, enfans gâtés dont les caprices étonnent, dont les libres allures déconcertent ; au fond, et en dépit de leurs étranges manières, très femmes et très honnêtes.

Trop indépendantes pour se plier à certaines hypocrisies sociales ou trop sincères pour jouer un rôle, elles sont restées ce que les ont faites leur naissance, leur éducation, leur milieu. En attendant que l’amour vienne et que le mariage les prenne, elles s’amusent avec l’insouciance de leur âge et la liberté que les usages octroient à leur sexe, jusqu’au jour où, leur choix arrêté, elles rentrent dans le rang et deviennent, à leur tour, de paisibles mères de famille. Adieu aux cavalcades bruyantes, aux parties de traîneaux, aux flirtations, aux a parte sur la plage, aux excursions sentimentales. De leur vie de jeune fille elles ont extrait tout ce qu’elle pouvait rendre, et, dans leur vie nouvelle elles n’apportent ni regrets du passé, ni rétrospectifs soucis d’en avoir trop peu joui.

Elles sont épousées pour elles-mêmes, par choix et par goût, et non pour ce qu’elles apportent, puisque, le plus souvent, on ne leur donne pas de dot et que leur famille se borne à les pourvoir d’un trousseau. Parfois, mais à titre purement gracieux, leur père y joindra, selon sa position de fortune, un don de quelques centaines ou de quelques milliers de dollars destinés à défrayer un voyage de noces en Europe. Quant aux espérances d’héritages, elles entrent peu en ligne de compte, étant, de leur nature, précaires et aléatoires. Sauf quelques fortunes colossales et solidement assises, la plupart des fortunes américaines engagées dans la banque, le commerce, l’industrie ou la spéculation sont exposées à des vicissitudes telles qu’elles s’écroulent ou s’élèvent soudainement et qu’à en calculer la valeur à échéance lointaine on s’exposerait à d’étranges mécomptes. Puis enfin, le chef de famille, libre de tester comme il l’entend, peut, s’il lui plait, avantager l’un de ses enfans, ou les léser tous.

Aussi doit-on reconnaître qu’aux États-Unis, dans la classe moyenne, la plupart des mariages sont des mariages d’inclination et que les considérations intéressées qui pèsent, en Europe, d’un si grand poids, ont rarement voix au chapitre. Enfin, le célibat n’est pas pour effrayer des femmes qui trouvent, dans la liberté dont elles continuent de jouir en ne se mariant pas, une ample compensation aux avantages mélangés de charges que toute union comporte. Si la jeune fille européenne conquiert l’apparence de la liberté en se mariant, la jeune (ille américaine aliène la réalité de la sienne ; la première débute dans la vie mondaine, la seconde y renonce