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Les moralistes en gémissent et ne lui ménagent ni les sages conseils ni les objurgations paternelles. La presse elle-même intervient et l’invite, dans son propre intérêt, à user avec plus de discrétion des privilèges de son sexe. « Quelles sont, se demande l’un des organes les plus accrédités de l’opinion publique, les limites de la flirtation ? » Et l’éditeur, déconcerte, de répondre : « Nous savons bien où elle commence, mais nul ne sait où elle finit. Nos jeunes filles vont trop loin. Leur coquetterie savante n’est, à les en croire, que l’innocente manifestation d’une nature ingénue. Est-ce donc être coquette, disent-elles, que d’être rieuse et gaie, rêveuse et tendre, et si la vivacité exubérante ou la poétique mélancolie est à l’air de notre visage et nous embellit, doit-on nous en faire un crime ? L’argument est ingénieux, l’objection plausible ; mais la rêverie est affectée et la gaîté manque de naturel. Voici une jeune fille charmante, d’esprit cultivé, de bonne naissance. Elle a tout pour plaire, et les prétendans l’entourent. Dans le nombre, il peut s’en trouver un digne d’elle. Est-ce à le découvrir que tendront ses efforts ? Rarement. Elle est le prix que l’on se dispute ; son rire bruyant, sa fiévreuse gaîté ou sa hautaine mélancolie enchaînent et fascinent un cortège d’adorateurs que lui envient ses rivales moins favorisées. Pas un de ses gestes, pas une de ses paroles qui ne soient calculés en vue de l’effet à produire. Préoccupée de conquérir les suffrages, de satisfaire son insatiable vanité, d’accroître son prestige, d’entendre murmurer son nom, de le voir cité dans les journaux elle dédaigne la plus noble aspiration de la femme, qui est d’aimer et d’être aimée[1]. »

Critique indulgente, la presse n’en est pas moins complice des écarts qu’elle blâme, et le journalisme indiscret de vanter les charmes, de décrire les toilettes, de citer les noms des belles du Sud, du Nord et de l’Ouest. Dans un seul article nous relevons la liste des jeunes filles dont la beauté est renommée sur les rives du Potomac, jeunes filles du meilleur et du plus haut monde et dans cette liste, que l’auteur se promet de compléter plus tard, nous ne relevons pas moins de cent trois noms très connus, avec commentaires à l’appui. « Nellie Hazeline, de Saint-Louis, vient, nous dit l’écrivain, de mourir à vingt-quatre ans, et telle était sa réputation de beauté que le télégraphe transmettait chaque matin un bulletin de sa santé à toutes les villes de l’Union, de l’Atlantique au Pacifique. On la proclamait reine à Saratoga et à New-York, à Newport et dans le Missouri ; elle n’était pas moins célèbre par ses charmes que par le goût exquis de sa toilette. »

Est-ce à un poète persan ou à un journaliste américain que nous

  1. Voir, dans le New-York Herald du 2 janvier 1889, Folly of the Flirt.