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suivant que l’accord ou le désaccord des caractères se révèle dans une demi-intimité, s’isoler au milieu de la foule dans un coin du salon, ou, l’été, sur la plage.

D’ingénieux industriels, à Newport, Atlantic City, Bar-Harbor et Long-Branch ont fondé sur cette institution nationale une spéculation profitable. Elle consiste à louer aux jeunes couples en quête de tête-à-tête un vaste parasol dont le long manche armé d’une pointe de fer s’enfonce dans le sable. Ce parasol abrite des rayons du soleil et dissimule discrètement les traits de ceux auxquels il prête son ombre protectrice. On n’aperçoit le plus souvent sous ce gigantesque champignon que deux pieds mignons finement chaussés et deux extrémités masculines, parfois, aussi, mais plus rarement, une taille souple qu’enserre un bras hardi. Encouragé par le succès, l’industriel d’Atlantic City a fait niveler, sur un terre-plein dominant la plage, une longue terrasse de sable d’où les amoureux peuvent voir, sans être vus, se dérouler à leurs pieds le panorama de la mer. Spécialement affectée à la flirtation, ceux qui s’y livrent passent sur cette terrasse de longues après-midi. Nul ne s’en étonne ni ne s’en offusque.

La flirtation n’est pas l’apanage exclusif des classes riches, tant s’en faut. Du haut en bas de l’échelle sociale, elle est le prélude indispensable du mariage, et celle-là s’estimerait lésée de ses droits qui passerait, sans cette transition obligée, de la condition de jeune fille à celle de femme mariée.

Est-ce à dire qu’il n’y ait pas d’abus et que la plus dangereuse des expériences, celle qui consiste à mettre en présence dans une intimité temporaire jeunes gens et jeunes filles pour faire assaut de coquetteries, de tendres aveux et de déclarations passionnées, n’aboutisse pas parfois à de désastreuses conséquences ? Ces abus existent, mais ces conséquences sont rares, d’autant plus que les lois et les usages américains n’entendent pas raillerie sur la séduction. Aux États-Unis, on n’est pas indulgent pour les don Juan. Entre la jeune fille irritée, les pères et les frères armés, les tribunaux toujours prêts à leur infliger d’écrasantes indemnités, leur profession manque de charme ; aussi hésitent-ils à s’aventurer sur ce terrain semé de chausse-trapes.

Le plus en danger n’est pas elle, mais lui. Le respect instinctif dont la femme est l’objet, le culte national rendu à la faiblesse et à ses charmes, la protègent et l’abritent contre les écarts mêmes de son imagination ou de sa vanité. Elle le sait et souvent en abuse. Sa coquetterie féroce se joue parfois des sentimens qu’elle inspire, des feux qu’elle attise, des sermens qu’elle échange. Elle les rompt quand ils lui pèsent, se lie ou se délie au gré de son caprice ou de son ambition, sans souci du mal qu’elle fait.