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c’est qu’elle n’en a que faire, c’est que tout droit nettement défini est non moins nettement limité, et qu’elle a tout à gagner à ne pas préciser les siens. Enfant, l’école lui est ouverte, et, dès l’âge le plus tendre, sa faiblesse et ses charmes lui font des protecteurs et des admirateurs de ses compagnons. Jeune fille, elle s’appartient. Femme, le divorce lui permet de rompre un lien oppresseur. L’opinion publique la suit et la protège dans chacune des étapes successives de sa vie.

Mais elle aspire plus haut, et cette égalité ne la satisfait pas. Les circonstances auxquelles elle en est redevable s’affirment et secondent son ambition. Les années passent, la prospérité s’accroît, la civilisation s’étend. Dans un champ d’activité plus rémunérateur et plus vaste, si la tâche de l’homme est plus absorbante, celle de la femme devient plus légère. Affranchie des pénibles travaux qui incombaient aux premières émigrantes, elle n’a plus comme elles, comme sa grand’mère et sa mère, à pétrir et cuire le pain, à confectionner les vêtemens de la famille, à faire œuvre de servante ; elle a des loisirs pour cultiver son esprit, pour élargir le cercle de ses connaissances, et, dans ce domaine que l’homme est contraint, par un labeur incessant qui le prend au sortir de l’école, d’abandonner trop tôt, elle va régner sans conteste et sans rivaux. Aux charmes de son sexe elle unira ceux d’un esprit cultivé, d’une supériorité intellectuelle que, de longtemps, l’homme ne pourra lui disputer.

Ses facultés agissantes et pensantes n’ont plus, comme au début, le même emploi que celles de son compagnon. L’activité silencieuse et froide de l’homme s’exerce en tous sens sur un continent illimité, sur un sol fertile qui rémunère ses peines au centuple, mais qui, prenant tout son temps, ne lui en laisse que peu pour la vie de famille, aucun pour la culture de son esprit. Il sait gagner l’argent, mais il ignore l’art de le dépenser, de lui faire rendre la somme de confort, de jouissances délicates que sa possession comporte. Elle s’y exerce, elle l’acquiert et y déploie ses ingénieuses facultés. Elle embellit son home et le lui rend plus attrayant ; elle s’embellit elle-même, et il l’admire d’autant plus. Elle devient l’agent de le dépense comme il est celui de la recette ; elle éperonne son ardeur au travail en flattant son cœur et sa vanité ; elle met à profit les loisirs que son labeur lui crée, et, au respect inné que la femme inspire, en tant que femme, à l’homme de sa race, se joint le respect que lui impose une culture intellectuelle supérieure à la sienne.

Deux fois reine, la toute-puissance la grise, et le culte qu’on lui rend, les hommages dont on l’entoure, légitiment à ses yeux ses