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moins les circonstances atténuantes. Il lui semblait que pour rétablir entre les deux gouvernemens l’ancienne harmonie, il suffisait de se faire des concessions réciproques. Il demandait qu’on accordât à la Prusse des délais pour lui permettre, sans compromettre sa dignité par une brusque rupture avec les aspirations de l’Allemagne, de rentrer dans l’esprit des traités de 1815. « Nous sommes prêts, disait-il, à accéder à une nouvelle organisation centrale à Francfort et à enlever à la constitution d’Erfurt tout ce qui pourrait lui donner le caractère de propagande révolutionnaire ; nous réglerons ses attributions avec vous d’une façon invariable. L’union restreinte n’a qu’un but : museler la révolution et fortifier contre elle les petits états, impuissans à se défendre, livrés à leurs seules forces. Elle ne menace l’indépendance d’aucun souverain, elle est loin de prétendre à la domination de l’Allemagne, elle songe moins encore à dépouiller l’Autriche de sa prépondérance traditionnelle. Opposer l’esprit unitaire, dans l’intérêt social, à l’esprit révolutionnaire, tel est son but. Après avoir arraché la Saxe, le grand-duché de Bade et les états de la Thuringe à l’anarchie, par nos armes, il est de notre devoir de leur garantir l’avenir. Nous ne nous inspirons que du salut public, nous n’avons qu’un désir: conjurer un conflit en nous prêtant, dans la mesure de notre dignité, à la restauration d’un pouvoir central en Allemagne. »

Le ministre autrichien prit acte des dispositions pacifiques manifestées par le prince de Prusse au nom du roi. Il déclara ne pas s’opposer à une union restreinte dont l’unique but serait de défendre militairement contre la révolution les petits états qui en feraient partie, mais il ajouta que pour rien au monde il n’accepterait la constitution d’Erfurt. Une constitution qui faisait passer l’autorité législative des mains des princes dans celles d’une assemblée populaire était, à ses yeux, le triomphe éclatant de la révolution, une menace perpétuelle pour l’Allemagne, la violation flagrante des traités de 1815,

Les protestations du roi, de son frère et de son ministre ne suffisaient pas au prince de Schwarzenberg; il en connaissait la valeur. Il voulait enlever à la Prusse, une fois pour toutes, l’arme qu’elle Brandissait ou cachait au gré de ses convenances. Il savait que son jeu était double; qu’elle préconisait la sainte-alliance, ou pactisait avec la révolution, en se montrant tour à tour aux princes et aux peuples, oiseau ou souris suivant la marche des événemens. Si aujourd’hui la cour de Berlin affectait la modération et le désintéressement, c’est qu’elle y était contrainte; il fallait en profiter pour lui couper les ailes et la faire rentrer, l’oreille basse, dans le terrier fédéral.

Il ne dépendait plus que de l’empereur Nicolas de préciser les