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Notre premier secrétaire prit en main la direction de la légation dans un esprit plus conforme à la pensée du département. M. Cintrat, fils du directeur politique, était un homme fin, sensé, quelque peu sceptique. Soucieux de sa responsabilité, il ne recherchait pas les affaires, et lorsqu’il ne pouvait les éviter, il les traitait avec le sang-froid et l’autorité d’un agent élevé dans les traditions de notre politique. Autant son père abattait de mémoires et de circulaires, autant il écrivait peu de dépêches ; son esprit était vif, mais sa plume discrète. Nommé en 1852 ministre à Hambourg, où j’eus l’honneur de lui succéder en 1868, il acheta un immeuble et s’v installa comme s’il devait y finir sa carrière et sa vie. Peu enclin aux sollicitations, il fit si peu parler de lui, bien qu’accrédité auprès de sept états, — les trois villes hanséatiques, les deux Mecklembourg, le duché de Brunswick et le duché d’Oldenbourg, — que le département oublia pendant seize ans ses titres à un légitime avancement. Il fut admis à faire valoir ses droits à la retraite sans avoir pu donner toute sa mesure. « Tels peuvent être loués de ce qu’ils ont su faire, tels de ce qu’ils auraient pu faire, » a dit La Bruyère.

Les situations brisées ne se reconstituent pas aisément, et les rapports entre Paris et Berlin étaient pour le moins disloqués. Louis Napoléon, sans être dégrisé comme son ambassadeur, se voyait déçu dans ses espérances. La cour de Prusse n’avait pas répondu à son attente. S’il avait écouté M. de Persigny, il l’eût abandonnée à la vindicte de l’Autriche. Mais la politique qu’il lui conseillait était le renversement de toutes ses combinaisons. Il lui en coûtait de laisser échapper les chances sur lesquelles il spéculait. Son intérêt lui commandait, croyait-il, de ne pas décourager la Prusse, de la laisser aux prises avec sa rivale et de se servir de ses ambitions pour le succès de ses propres desseins. Il redoubla d’attentions, de prévenances avec M. de Hatzfeld pour rendre à sa cour la confiance que lui avait fait perdre son confident et, lorsqu’il vit les événemens se compliquer de plus en plus en Allemagne, il pressentit l’Angleterre sur son attitude éventuelle.

Dès son avènement au pouvoir, il s’était efforcé de chercher des dérivatifs au dehors et de préparer les voies et moyens pour réaliser