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donne dès à présent ma démission. Il faut, d’ailleurs, que j’aille à Paris pour vous parler de ce qui se passe ici et m’entendre avec vous sur les graves événemens qui se préparent. »

Peu de jours après, M. de Persigny quittait, en effet, Berlin, en agent indiscipliné, sans l’autorisation du département, emportant de sa campagne diplomatique un décevant souvenir. Il n’y reparut que fugitivement, dans les derniers jours de juin, pour lever son établissement. Chapitré sans doute par le président, il surveilla cette fois sa parole. Il eut à cœur d’effacer les impressions fâcheuses laissées par ses orageux débats en dépensant beaucoup de grâce et d’esprit. Ses causeries ne manquaient pas d’attrait lorsque, par aventure, il se désintéressait de la politique et ne se jetait pas dans d’interminables dissertations sur les pyramides d’Égypte, édifiées, selon lui, non pour témoigner de la grandeur des pharaons, mais pour arrêter les sables du désert[1]. De toutes ses toquades, c’était celle qui rencontrait à Berlin le moins de contradicteurs. Elle souriait au roi, fort épris à ce moment de sphinx, de momies et de sarcophages et aussi de faux palimpsestes qu’il achetait à grands frais, sur la garantie du docteur Lepsius, un de ses savans les plus renommés[2].

M. de Persigny put croire que son départ inspirait de sincères regrets, tant on mit de soins à l’enguirlander. Il était de ceux qu’on couvre de fleurs à l’heure des adieux, mais qu’on ne pleure pas. Ne pas être regretté et passer à l’état de cauchemar est le sort des ambassadeurs déplaisans et des hommes d’état vindicatifs. Dans un dîner donné en son honneur, auquel assistaient tous les membres du cabinet et du corps diplomatique, M. de Schleinitz lui réserva la première place. Il ne fut pas insensible à cette marque inusitée de déférence, et il ne manqua pas de la relever. « On m’a fait passer, contrairement à l’usage diplomatique, écrivait-il, avant

  1. Il avait développé son système dans une brochure.
  2. Alexandre de Humboldt m’a raconté qu’ayant conçu des doutes sur l’authenticité des palimpsestes, il avait conseillé au roi de les envoyer à Paris pour les soumettre à l’examen de son ami, M. Hase, un incomparable orientaliste qui connaissait à fond toutes les locutions du grec classique et du grec byzantin. « Je flairais une escroquerie, me disait-il, en voyant les manuscrits si chèrement acquis par l’académie de Berlin, confirmer de la façon la plus surprenante, les théories les plus risquées et les plus contestées de Lepsius sur l’Égypte. » L’expertise fut désastreuse, le texte fourmillait de locutions modernes. M. Hase renvoya les palimpsestes en disant finement ; « Leur authenticité ne saurait être mise en doute, si on fait remonter leur origine à la première partie du XIXe siècle après Jésus Christ. » Simonidès, le vendeur, fut arrêté à Leipzig et condamné. C’était un faussaire prodigieux doublé d’un psychologue avisé ; il avait pris le grand égyptologue, dont la Prusse était fière, par son côté vulnérable : la vanité.