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fautes de détail ; on ne remplace pas la politique de la faiblesse par la politique de la force sans frottement et sans un peu d’exagération. Du reste, notre situation est excellente. Je leur ai montré une telle assurance, je leur ai fait sentir si vivement notre force qu’ils ne s’y frotteront plus. Je suis doublement enchanté de l’occasion que l’affaire de Suisse vous a fournie. C’est une leçon non-seulement pour eux, mais pour toutes les puissances. Quant aux tentatives de coalition dont je vous ai parlé, il est bien entendu que ce sont des projets chimériques. Il y a aujourd’hui un abîme entre la Prusse et l’alliance austro-russe. Le roi Frédéric-Guillaume, placé entre deux sentimens contraires, l’ambition de dominer l’Allemagne et des préjugés féodaux profondément enracinés, passe sa vie à les satisfaire tour à tour. Il serait ravi sans doute de fomenter une coalition contre la France, s’il n’avait pas à compter avec le libéralisme révolutionnaire de l’Allemagne. Le temps des coalitions est passé. En laissant la Prusse s’engager dans l’affaire d’Erfurt, nous avons brisé la vieille alliance des trois cours du nord. Nous avons reconquis la liberté de nos mouvemens, nous pouvons sans crainte parler haut et ferme aux uns et aux autres. C’était l’habitude autrefois, dès que nous avions un différend sérieux à l’étranger, de nous menacer d’une coalition pour avoir raison de notice politique. L’état de l’Europe est tel aujourd’hui que notre faiblesse seule pourrait autoriser une action commune. Mais avec l’attitude que vous prenez, cette éventualité est une chimère qui ne mérite pas d’être discutée. »

Le temps des coalitions était en effet passé. La révolution de 1848 avait ébranlé les trônes et forcé les souverains à reconnaître l’inanité du droit divin. Les peuples partout s’étaient soulevés en proclamant un principe nouveau : celui des nationalités. Mais l’esprit de la sainte-alliance n’en restait pas moins vivant dans les cours; il ne devait sombrer qu’au début de la guerre de Crimée, après un effort suprême tenté en 1852, au nom des traités de Vienne, pour s’opposer au rétablissement d’un second empire en France et pour protester contre le titre et l’hérédité invoqués par Louis Napoléon,

L’anxiété grandissait à Berlin dans les derniers jours de mars. Les résistances au système prussien surgissaient de toutes parts à l’intérieur et au dehors. Les nouvelles de Vienne et de tous les points de l’Allemagne devenaient alarmantes. « Il faut avilir la Prusse avant de la démolir, » disait le prince de Schwarzenberg ; « il faut effacer de l’histoire allemande l’épisode de Frédéric II, » disait M. de Beust. Tous les adversaires de la Prusse relevaient la tête en la voyant livrée à ses propres forces, brouillée avec la