Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si les femmes jouent un rôle capital dans l’histoire des races, on devrait retrouver chez elles quelques traits de ces populations anciennes, qui, non-seulement en Grèce, mais même en Macédoine et en Thrace, fournirent jadis aux artistes grecs de si admirables modèles. Je dois confesser que mon attente a été quelque peu déçue, au moins dans les pays colonisés par les Slaves. Les paysannes y sont volontiers rustaudes et mal tournées ; vigoureuses, pour la plupart et propres à faire d’excellentes bêtes de somme, mais le plus souvent courtes, rentassées, avec une figure tout en large, nul port, et de grâce pas davantage. Dans la première fleur de jeunesse, elles ont, comme eût dit Mlle de Scudéry, moins de charme que de fraîcheur, moins de fraîcheur que d’éclat, moins d’éclat que de grosse et reluisante santé ; de sorte que, si leurs grand’mères se sont employées jadis à civiliser les Barbares, il est à croire que, dans la suite des siècles, elles ont été elles-mêmes fortement barbarisées. Le courant des invasions a dépassé l’étendue de leurs capacités civilisatrices ; les anciens moules, trop chargés de nouveau métal, ont été brisés.

En outre, elles ont, dans leurs relations avec le sexe fort, une allure qui renverse toutes nos idées. Non-seulement l’épouse suit son mari par derrière comme un petit chien, mais les jeunes filles elles-mêmes baisent la main des jeunes gens avec une humilité révoltante. Ces jeunes freluquets se laissent faire comme si cet acte servile était la chose la plus naturelle du monde. Ils considèrent que la toute-puissance réside dans les trois ou quatre poils follets qui ornent leur menton. Je n’ai jamais assisté à ces baise-mains sans avoir envie de prendre le jeune homme par la barbe et de secouer énergiquement son impertinente divinité. Peut-être est-ce une dernière trace de la souveraine propriété que les vainqueurs s’attribuaient jadis sur les femmes des vaincus. Peut-être est-ce un tour d’adresse que ces dernières ont légué à leurs petites-filles pour dissimuler l’empire infiniment plus réel qu’elles exercent sur les hommes. Dans les deux cas, ces marques de servitude confirmeraient mon hypothèse. Nous aurions sous les yeux la lignée passablement abâtardie de la femme antique que peignit Apelle et que sculpta Praxitèle. Seulement la statue a été martelée par les barbares. Un coup de hache a rendu son nez camard et mutilé ses longs doigts souples. Elle nous apparaît telle qu’un marbre de Paros dans une fouille, au moment où la pioche vient de le mettre au jour : un limon grossier empâte ses formes divines, alourdit ses jambes et ses bras. Il faut un œil d’archéologue pour discerner le cadavre d’une déesse sous les plis pesans de ce linceul.