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Toutes ces questions auraient besoin d’être éclaircies avant qu’on engageât des dépenses aussi énormes. Si tout n’est pas limité et déterminé d’avance, le génie militaire trouvera partout des points faibles et ne se lassera pas de demander des millions, car son ambition comme son rôle est de dépenser toujours.

Cependant, si on n’arrête pas cette frénésie de dépense, comment serait-il possible de ramener quelque ordre dans nos finances et de maintenir notre crédit ? Il n’y a, comme nous croyons l’avoir démontré, d’autre alternative que d’accroître les recettes publiques par des créations d’impôts. Dans la dernière discussion du budget, le rapporteur du sénat reconnaissait qu’un grand emprunt était indispensable pour liquider la situation actuelle ; mais il proclamait en même temps que le système des emprunts à découvert ne pouvait se prolonger davantage et que l’emprunt à contracter devrait être gagé par une ressource effective, par un impôt. La commission du budget de 1890 en a découvert deux : elle frappe les vinaigres de taxes échelonnées qui produiront 2 millions : elle demande 1,600,000 francs à une surtaxe sur les bordereaux des agens de change, ce qui charmera les banquiers de la coulisse. Il n’y a point là de quoi éteindre des déficits annuels de 600 millions. Il faut donc des impôts plus sérieux et plus productifs, de gros impôts. Aura-t-on le courage de suivre l’exemple de l’assemblée de 1871 ? D’un autre côté, comment imposer de nouvelles charges à une nation qui succombe déjà sous le faix ? La perception des droits de mutation démontre que la valeur de la propriété rurale, qui était, en 1869, de 24 milliards 440 millions est descendue, en 1887, à 16 milliards et a, par conséquent, diminué d’un tiers. Les documens officiels constatent que de 1881 à 1888 les droits d’enregistrement perçus sur les transactions à titre onéreux sont descendus de 191 millions à 131, ce qui représente également une diminution d’un tiers, et que le chiffre des saisies immobilières est monté de 22,000 à 28,000 en quatre années. Ce sont là des preuves irréfragables des atteintes portées à la propriété immobilière. Joignez-y maintenant la décroissance de notre commerce extérieur et les souffrances de la plupart de nos industries, et vous vous demanderez avec effroi s’il est possible d’imposer de nouveaux sacrifices à une nation aussi éprouvée, et comment se fermera le gouffre où l’on a englouti la fortune de la France.


CUCHEVAL-CLARIGNY.