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une lumière trop vive révélerait un mal dont l’étendue frapperait l’opinion de stupeur : on se garde de dissiper les ténèbres qui cachent l’abîme.

Nous n’avons pas voulu scinder les observations que nous avions à présenter au sujet des chemins de fer : il nous faut parler maintenant des obligations sexennaires au moyen desquelles le trésor paie les garanties d’intérêts assurées aux lignes de France et d’Algérie. La création des premières obligations sexennaires se justifiait par l’existence, au budget, d’un crédit de 150 millions, affecté d’une manière toute spéciale à l’amortissement, et qui devait devenir libre après le dernier remboursement à faire à la Banque de France, c’est-à-dire dans un espace de moins de six années. C’était une anticipation sur l’avenir ; mais on était en présence d’une ressource certaine. Ce crédit de 150 millions a d’abord été réduit à 100 millions, puis il n’a pas tardé à être à peu près complètement détourné de son affectation ; il en subsiste à peine un vestige : 11 millions en 1887, 5 millions 1/2 en 1889 : pour 1890, la commission de la chambre se flatte de le relever à 24 millions au lieu de 12 que proposait le gouvernement ; mais les ressources auxquelles elle veut donner cette destination sont d’une réalisation problématique. Malgré la disparition presque complète du crédit d’amortissement, on a continué les émissions d’obligations qui ne constituent plus aujourd’hui que des emprunts à découvert, sans gage d’aucune sorte que la foi publique, sans provision ni actuelle ni prochaine pour le remboursement. Elles sont devenues un détestable instrument de trésorerie : elles n’offrent point un de ces placemens à longue échéance qu’une partie du public recherche ; elles coûtent beaucoup plus cher que les bons du trésor ; elles menacent de grever indéfiniment le budget par l’habitude qu’on a prise de les renouveler, et cette facilité de renouvellement est une incitation permanente à la dépense pour les chambres et le gouvernement. La preuve en est dans le développement qu’elles ne cessent de prendre. Il y en avait en circulation pour 515 millions au 31 décembre 1887 : les émissions faites ou à faire en 1888 et 1889 pour le budget extraordinaire de la guerre, pour le service de la garantie d’intérêts et pour le renouvellement des obligations échues et non remboursées, vont porter ce chiffre à 944 millions, sans compter quelques menues dépenses dont il sera question plus loin, et sans ce que l’avenir réserve. On a déjà vu que le programme de dépenses militaires accepté en principe par la chambre exigera encore une émission d’un demi-milliard. De pareils chiffres sont fort inquiétans pour l’avenir du budget. M. Peytral ne l’avait pas caché à la chambre dans la discussion de la loi