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une souplesse qui vous émerveillera. Je suis pour mon compte aussi sûr de cela que si je le voyais déjà de mes propres yeux. C’est que j’ai vécu neuf ans dans ce pays-là, je connais la véritable Italie et les vrais Italiens, je sais quelles sont les habitudes de ces êtres passifs et sensitifs. J’ai vu naître aussi et se façonner sous mes yeux l’Italie factice, l’Italie d’opéra-comique dont on s’est servi dans ces derniers temps. Il y a même plusieurs de ses chefs, Rattazzi entre autres, qui peuvent difficilement me regarder sans rire comme les augures d’autrefois. » Il est vrai que, quand le duc de Gramont s’exprimait ainsi, il n’était plus à Rome. Il s’était fait nommer depuis un an ambassadeur à Vienne, et pour se consoler de ses longues contraintes et de toutes les couleuvres qu’il avait avalées, il lâchait la bride à sa plume.

Pendant que son ministre des affaires étrangères et son ambassadeur à Rome se tourmentaient, se donnaient au diable, que faisait Napoléon III, dont la volonté souveraine n’avait pas encore prononcé son arrêt définitif? Il avait le calme du fataliste. Quelquefois il s’en remettait à un congrès, qui ne devait jamais se réunir, du soin d’accommoder le pape et le roi de Piémont ; d’autres fois il se flattait de résoudre les complications de l’heure présente par d’autres complications et « de liquider en Orient la question d’Italie. »

Un éminent historien nous a révélé naguère le secret du roi Louis XV. M. L. Thouvenel s’excuse dans sa préface de lui avoir fait un emprunt en intitulant son livre le Secret de l’empereur, u l’attachante et énigmatique figure du souverain qui présidait alors aux destinées de notre pays, nous dit-il, se trouve éclairée par cette correspondance d’un reflet singulier. Il est impossible de ne pas reconnaître que ce prince, qui avait vu si juste dans les affaires intérieures de la France, perdait pour ainsi dire contenance quand il tournait son regard voilé du côté de l’Italie. La question italienne a bien été le secret de la politique de Napoléon III. «  A vrai dire, tout le monde savait depuis longtemps que Napoléon III, qui, de l’aveu des Italiens eux-mêmes, leur a quelquefois sacrifié les intérêts de la France et les siens, était tout cœur pour l’Italie. N’avait-il pas conspiré pour elle dans sa jeunesse, et quel homme fut plus fidèle à ses souvenirs? Mais il devait compter avec le parti catholique, qui s’agitait beaucoup, avec le pape, qui lui rappelait ses promesses, et il se devait à lui-même de ne pas être l’exécuteur des hautes œuvres. Quels que fussent ses embarras, il comptait sur son étoile pour le tirer d’affaire. Il faisait à la chance, au hasard, dans toutes ses entreprises, une part exorbitante que ne lui font jamais les vrais politiques, et il a toujours confondu la volonté avec le désir. C’était là peut-être son vrai secret.

Au Vatican et ailleurs on l’accusait ouvertement de souffler tour à tour le chaud et le froid, et personne ne doutait de ses intelligences