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de l’imagination et de l’esprit. Il était bon, fort, gai, bien portant, généreux, courageux — et chaste. Virum qualem non candidioron terra tulit, porte le diplôme de docteur en philosophie qui lui fut conféré en 1817 par les professeurs de l’université d’Heidelberg. A l’esprit le moins simple, au talent le moins naïf qui fut jamais, Richter joignait une âme d’enfant. Et une âme d’homme aussi, dans le sens viril de ce mot. Assailli par l’adversité, il garda toute sa bonne humeur; il lutta contre la mauvaise fortune avec une admirable vaillance, « résolu de lui rire au nez jusqu’à ce qu’elle éclatât de rire à son tour et cessât de lui faire une mine renfrognée. » — « Dieu, disait-il encore, doit être plus content de celui qui trouve tout pour le mieux dans le monde que de celui à qui rien ne sourit. Au milieu de tant de délices dont regorge le monde, n’est-il point d’une noire ingratitude de l’appeler un séjour de peines et de misères?... Pour ce qui est des besoins de la vie, je ne saurais pas que je suis pauvre si je n’avais une vieille mère qui devrait, elle, ne le point savoir. « Il s’était composé un petit manuel de maximes stoïques à son usage : « Figure-toi toujours un état pire que celui où tu es. — Au lieu d’accuser la destinée, ne t’en prends qu’à toi seul des douleurs qui t’arrivent. — L’affliction ne sert de rien, elle est au contraire le vrai mal. — Ne dis jamais : Plût à Dieu que ce fussent d’autres souffrances que celles que j’endure, je les supporterais mieux! » Il croyait de tout son cœur à l’existence de Dieu et à l’immortalité de l’âme. Un de ses ouvrages, la Vallée de Campan, est le témoignage le plus explicite de cette foi spiritualiste qu’il affirme sans cesse, et que le fragment du Siebenkäs, traduit par Mme de Staël, suffit pour attester avec une singulière éloquence.

Le sincère amour de toute l’humanité, que Gœthe louait chez Jean-Paul, sa tendresse particulière pour les humbles et pour les misérables, est un autre sentiment profond qui pénètre le meilleur de son œuvre et qui doit être signalé hautement comme une des principales causes et de sa popularité contemporaine et de ce qui lui reste de gloire aujourd’hui. La vie du professeur Fixlein. celle de l’avocat Siebenkâs, peignent avec des couleurs vraies, célèbrent avec une sincère émotion « la poésie de la pauvreté. » L’étrange roman d’Hesperus lui-même n’est « qu’une longue symphonie sur l’amour universel. » Il faut admettre, si l’on veut rendre à Jean-Paul pleine justice et comprendre le fond de l’humour, la possibilité de cette sympathie sans bornes qui embrasse toute l’humanité, toute la nature, tout l’univers, et que les raisons même de haïr certaines choses et de mépriser certains hommes ne parviennent pas à supprimer totalement. En fait de sensibilité, suivant une remarque profonde de Vinet, nous prenons presque toujours la