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Il n’y a rien de définitif en critique littéraire, puisque les hommes et les goûts se renouvellent. Le seul regret que puisse nous laisser un livre aussi bien fait, c’est qu’il faille un peu trop souvent croire le critique sur sa parole quand il déclare admirable un écrivain sur lequel il fait d’ailleurs toutes les réserves qui sont à faire. Il a été économe de citations, et c’était pourtant le cas de les prodiguer, puisque Jean-Paul, absolument illisible de suite, n’a de valeur que par fragmens, et ne peut ainsi que gagner à être mis en pièces et servi en détail, loin d’y perdre la moindre chose. Mais, d’un autre côté, comment blâmer M. Firmery d’avoir craint de trahir son auteur en le traduisant, lorsqu’on se rappelle que Jean-Paul lui-même a exprimé avec la dernière force l’impossibilité où nous sommes de le citer dans notre langue : « Si je veux prendre mes ouvrages en aversion, je n’ai qu’à me les figurer traduits en français ? »


I.

La vie de Jean-Paul-Frédéric Richter est si vide d’événemens extérieurs, si complètement étrangère aux grands faits généraux de l’histoire de son temps, qu’on pourrait l’esquisser tout entière en trois lignes; mais d’une vie de ce genre, ce ne sont point les contours, c’est le développement intime qui seul offre quelque intérêt.

Il naquit en 1763 à Wunsiedel, village du nord de la Bavière, où son père était pasteur. Doué par la nature d’un goût inné pour les livres, pour tout ce qui s’écrit et s’imprime, et du reste n’ayant point d’autres distractions dans sa solitude, il passa le meilleur de son adolescence à lire d’abord les ouvrages de théologie et de philosophie dont se composait la bibliothèque paternelle, puis, pêle-mêle, tous les auteurs qu’il put emprunter en quelque genre que ce fût, prenant, prenant des notes et découpant pour cet usage les feuilles restées blanches dans les sermons du ministre. Il était, de naissance, un


<poem>... de ces rats qui, les livres rongeants, Se font savans jusques aux dents,


et il prit tant de notes toute sa vie, il accrut si régulièrement et si continuellement ce monceau de richesses partout ramassées, qu’à l’âge de dix-sept ans il se voyait déjà à la tête de douze énormes volumes d’extraits. A l’université de Leipzig, où il fut reçu, après la mort de son père, comme étudiant gratuit, muni d’un certificat