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le khambo-lama, auquel est attribué un domaine de 500 hectares ; il prélève, en outre, une sorte de dîme sur les 35 datsans ou diocèses qui relèvent de lui. Les chefs de chaque datsan, appelés schiretouî, et, au-dessous d’eux, les simples lamas, ont également une dotation territoriale avec une part de la dîme. Le datsan du lac Goussino possédait, récemment encore, une sorte de séminaire bouddhiste contenant une quarantaine d’élèves, pourvus chacun de quinze désiatines de terre.

Ce clergé lutte énergiquement contre la propagande orthodoxe. Il lui dispute les indigènes chamanistes que souvent le lama ravit aux missionnaires de l’Évangile. Comme ces derniers, les apôtres du Bouddha procèdent, solennellement, à la destruction des idoles et des ustensiles des chamans. Sans les obstacles mis par le gouvernement au prosélytisme des lamas, le chamanisme aurait bientôt disparu de l’Altaï et du Baïkal. Au lama, le pope préfère le sorcier, le trouvant moins difficile à vaincre.

Pour conquérir les bouddhistes, la propagande orthodoxe et l’administration impériale travaillent à désagréger peu à peu leur clergé et, aussi, leurs tribus. Les missionnaires ont fait interdire l’ouverture de nouvelles pagodes ; ils prétendent même parfois fermer les anciennes. En même temps, l’on cherche à réduire le nombre des lamas et à diminuer leur autorité. On s’efforce de soustraire les Bouriates convertis au pouvoir de leurs chefs païens, pendant qu’on encourage, de toute manière, le baptême des chefs. Les lamas, du reste, ne respectent pas toujours la défense d’ouvrir de nouvelles pagodes ; ils en érigent jusque dans les oulouss ou campemens des nomades baptisés. Il n’est pas rare qu’ils réussissent à ramener à eux leurs anciens coreligionnaires. La foi de nombre de Bouriates est telle que beaucoup déclinent nettement toute controverse avec les popes. À l’inverse des musulmans, les bouddhistes peuvent cependant faire d’excellens chrétiens. Il en est qui paraissent avoir abandonné, en toute conviction, Siddhârta pour Jésus. D’anciens lamas, hommes instruits dans les lettres mongoles, se sont faits prêtres et sont devenus, à leur tour, de zélés missionnaires du Christ. Une des choses qui paraissent le plus frapper ces Asiatiques, dressés par le bouddhisme même à l’admiration des rites, c’est la beauté des cérémonies chrétiennes. À en croire certains récits, la messe et les chœurs, qu’on a soin de chanter en mongol, feraient plus de conversions que la prédication.

Entre le mysticisme slave et le bouddhisme, on a eu beau découvrir de secrètes affinités, la doctrine hindoue n’a pas exercé, sur les compatriotes de Tolstoï et de Dostoïevsky, la même fascination que sur les Anglais, les Américains, les Allemands. Si, à l’exemple