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Seulement, il me semble qu’il a été insuffisamment instruit, et, un peu maladroit, et excessif.

Pour maintenir l’idée de création contre l’idée évolutionniste, certes c’était quelque chose d’être un bon logicien, de ramener la question à ses première termes, de dire : l’éternité des choses bornées et contingentes est contradictoire ; le monde a commencé ; donc avant il n’y avait rien ; que rien soit devenu quelque chose, peu importent les siècles et le peu à peu, c’est, contradictoire ; donc il y a eu création extérieure ; c’est quelqu’un qui a créé ; ce quelqu’un est le fond et l’âme de tout, — et d’amener ainsi l’esprit du lecteur à cet extrême point où il faut se décider, prendre parti, ne plus voir que deux idées sans accommodement possible, et incliner vers l’une. Cela certes est quelque chose ; c’est une lumière, une grande clarté jetée sur une question. Mais il n’eût pas été mauvais pourtant qu’il connût davantage, en son détail, la doctrine qu’il combattait. Il la connaît mal, il tranche bien vite par des « doctrines abjectes » ou par des épigrammes qui, chose curieuse, rappellent tout à fait Voltaire, ennemi, lui aussi, superficiel et dédaigneux, des théories évolutionnistes naissantes. Quand de Bonald a ri consciencieusement de l’idée que le premier ancêtre de l’homme pourrait bien être un poisson, il croit avoir broyé l’adversaire. C’est triompher vite. On s’attend toujours, en le lisant, à une exposition solide, complète et pleinement loyale des hypothèses transformistes ; on s’attend même, tant il a l’esprit de système et s’entend à exposer une doctrine, à ce qu’il présente ces hypothèses en y ajoutant, en les coordonnant, quitte après à partir en guerre. Cet espoir est constamment déçu. Et, dès lors, l’effet est tout différent. Il paraissait très moderne, saisissant si bien le nœud même de la question, telle que les modernes la posent ; il ne paraît plus (souvent) qu’un scolastique répétant des argumens très anciens, sans les rajeunir par le plein contact des objections mêmes. Le chrétien ou le vrai déiste qui tiendra vraiment compte de la doctrine évolutionniste, qui lui laissera toute sa force et qui saura montrer que, fût-elle vraie, la création reste, n’est pas encore venu. — Je dis de plus qu’il me paraît maladroit et excessif. En vérité, il veut trop prouver. Comme dans son autre système, ou, s’il y tient, dans l’autre partie de son système, il prodiguait trop l’idée ternaire, ici, il prodigue trop la création. L’esprit systématique l’entraîne encore, et il compromet encore son idée en en abusant. Est-il bien nécessaire pour que l’idée de création ne soit pas entamée, que le Créateur soit l’inventeur du langage ? Dieu sait si de Bonald y tient ! On se demande pourquoi il croit qu’il y va de Dieu. Voici une hypothèse. L’homme est un animal social ; il est né avec l’instinct de conservation, comme tous les animaux ; en tant qu’il est animal social, son instinct de