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et qui montrent déjà la transition entre le premier et le dernier peintre de l’école, entre Guillaume de Herle et Étienne Lochner.

Il nous est impossible de ne pas citer encore un tableau de la même école, qui peut être considéré, sous certains rapports, comme l’incarnation la plus complète de ses tendances et de ses qualités. C’est un petit tableau du musée municipal de Francfort. Dans un jardin, Marie se tient assise, lisant un livre, auprès d’une table de pierre. Autour d’elle, toute la création est en fête : l’herbe éclate de fraîcheur, les arbres sont couverts de fleurs et de fruits ; les oiseaux sautillent sur les branches. L’enfant, assis aux pieds de sa mère, babille avec une sainte qui lui apprend à jouer d’un petit luth. Et, çà et là, d’autres saintes se promènent, cueillent des fleurs, puisent de l’eau a une source. Le tout dans une atmosphère blanche, parfumée d’innocence et d’ingénuité, contribuant encore à nous donner l’impression d’une douce réalité de rêve.

L’influence des maîtres de Cologne s’est vite étendue en Allemagne. De la Westphalie, des cités rhénanes, de nombreux ouvrages sont sortis qui montrent, avec les mêmes intentions mystiques, la même manière de modeler et de peindre. Mais on n’y trouve plus la petite flamme de beauté qui scintille adorablement dans les œuvres de Cologne. Il faut bien le dire, d’ailleurs, si toutes les écoles allemandes oui cherché à faire une peinture de sentiment, seuls les peintres de Cologne ont su donner à l’expression de leurs sentimens une intense et mystérieuse beauté formelle. Il suffit de voir, au musée de Berlin, un grand triptyque daté de 1404, et attribué à maître Conrad de Soest, pour comprendre comment l’art de Guillaume perdait vite sa grâce en sortant de Cologne, et comment l’expression des mêmes sentimens mystiques devenait tout de suite plus forte, plus virile, — moins belle.


II

Nous nous sommes longuement arrêté sur la première école de Cologne. C’est que, seule de toutes, cette école a produit des œuvres parfaites dans leur genre ; c’est que surtout elle a seule été entièrement indépendante de toute influence étrangère. Dès la première moitié du XVe siècle l’art flamand pénètre en Allemagne, impose aux peintres allemands ses procédés, qui viennent d’être si brillamment perfectionnés par Hubert Van Eyck, et leur donne en même temps un goût du réalisme qui semble convenir bien moins que l’idéalisme de maître Guillaume à une race toute sentimentale. La peinture allemande du XVe siècle n’est plus le libre épanouissement d’un art original et spontané, elle apparaît plutôt comme une