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consommation de l’alcool. Les races du Nord, qui font abus de ce dangereux liquide, comptent deux ou trois fois plus de suicides que celles du Midi. Il n’y a qu’un seul pays où cette consommation décroisse, c’est la Norvège, et c’est aussi le seul où le nombre des gens qui attentent à leur vie aille en diminuant.

Alcoolisme, folie, suicide, sont trois fléaux qui marchent de front dans les sociétés modernes. Ce dernier cependant progresse un peu plus vite, parce qu’il reconnaît une cause de plus, c’est l’affaiblissement des croyances. Lorsqu’on ne croit plus à rien, il est logique de quitter la vie, comme on sort d’une salle de spectacle, quand la pièce a cessé de plaire ou quand on s’y trouve mal assis. Les chiffres confirment encore, à cet égard, les prévisions du raisonnement. A population égale, il y a moitié plus de suicides dans les villes que dans les campagnes, où les principes religieux ont été moins fortement ébranlés. Ce n’est que dans les grands centres de population que les femmes et les enfans attentent à leur vie.

Un dernier fait ne s’explique pas aussi facilement : c’est que les pays protestans, pris en bloc, ont, toute proportion gardée, deux fois plus de suicides que les pays catholiques. Le fait est d’une évidence saisissante dans le royaume-uni. L’Angleterre est le pays le plus riche de l’Europe. C’est celui dont la population s’accroît le plus rapidement. Les mœurs sont relativement austères, le puritanisme ardent, et pourtant on y compte presque autant de suicides qu’en France et dix fois plus qu’en Irlande, ce pauvre et malheureux pays qui meurt de faim, émigré en masse et va se dépeuplant. Pour les peuples, comme pour les individus, ce n’est pas toujours la souffrance qui conduit au dégoût de la vie. Ce ne sont pas les heureux de la terre qui craignent le plus de la quitter, ce sont les déshérités de l’existence, ceux auxquels elle a fait banqueroute et qui s’obstinent à poursuivre, avec l’espoir de le voir sortir enfin, le numéro qu’ils ont pris en naissant, à la loterie du bonheur.

Il est bien difficile de remonter un pareil courant de sentimens et d’idées ; mais on peut réagir contre les exagérations de sensibilité, contre la pusillanimité croissante, qui affaiblissent les ressorts de la famille et portent atteinte à sa vitalité, contre la faiblesse de caractère qui ne permet de tenir tête ni aux événemens ni aux hommes, qui se traduit par des défaillances continuelles dans la vie publique, comme dans la vie privée, et qui finira par énerver la nation elle-même, si on n’y prend garde.

Pour combattre cette débilité sociale, il faut l’attaquer dans sa source, en s’adressant aux enfans. On peut transformer les générations de l’avenir, en leur donnant une éducation plus