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être que d’or ou d’argent dès que la violence est exclue. « L’esprit de parti, dit M. Sumner Maine, est devenu une force qui agit avec une énergie extrême sur des démocraties nombreuses, et l’on a imaginé quantité d’inventions artificielles pour en stimuler ou en faciliter l’action. Néanmoins, les discours, la presse, les caucus ne suffiraient pas à éveiller l’intérêt de milliers ou de millions d’électeurs, si le parti ne s’adjoignait une force politique auxiliaire. A parler net, celle-ci n’est autre chose que la corruption[1]. »

Depuis les élections, qui tournent au bourg pourri universel, jusqu’aux régions les plus élevées du pouvoir, le gouvernement de parti par la corruption forme un vaste ensemble, savamment agencé, beaucoup d’Américains, tout en le déplorant, prétendent que ce mal est inévitable. Dès lors, pourquoi perdre le temps (qui est de l’argent) à combattre les fatalités corruptrices ? Mieux vaut les utiliser, puisqu’on se trouve réduit à les subir. Ainsi font les politiciens du Nouveau-Monde, légistes subtils et casuistes hardis, largement doués de smartism, c’est-à-dire de l’entregent qui chemine sur la lisière de la légalité avec d’ingénieux écarts.

Pour endormir leurs scrupules, car ils en ont, leur raisonnement fut simple. La pire corruption est celle du bien, optimi corruptio pessima. De cet adage connu, ils ont tiré la contrepartie spécieuse : pessimi corruptio optima. S’il est coupable de corrompre les hommes pour les pousser à quelque méfait, combien n’est-il pas innocent et même louable de les corrompre pour le bon motif ! Pourquoi proscrire la vénalité du bien ? Le mal seul doit-il être rémunérateur, et le bien gratuit et obligatoire ? Dès qu’il y a des corrompus, chacun a le droit de l’être. Ne faut-il pas que tout le monde vive, les braves gens comme les autres ? La vertu austère et non sans exemple serait de rester soi-même incorruptible en corrompant autrui. Puis les électeurs paient leurs élus ; la juste réciprocité n’exige-t-elle pas que les élus offrent aux électeurs, ou tout au moins à leurs chefs de file, ne fût-ce qu’un « honnête pourboire » sous une forme quelconque ?

Dans leur plaidoyer, les politiciens abusent du paradoxe. Au fond, ce qu’ils défendent n’est que le régime des marchands de vin pour les électeurs et des pots-de-vin pour les élus. Ils prétendent toutefois, morale à part, ne pas faire commettre au suffrage universel des fautes antinationales, ou foncièrement pernicieuses et déraisonnables. A les entendre, la direction donnée par eux au pays reste plus droite dans l’ensemble qu’elle ne le paraît de prime abord.

Nos procédés ne sont pas les pires, répondent-ils à leurs

  1. Popular government.