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de villes aux maires élus, qui ne craignent pas d’y recourir fréquemment. Les contribuables sont loin de s’en plaindre ; le surnom de maire veto (veto Mayor), donné naguère à M. Cleveland par ses concitoyens de Buffalo[1], n’avait rien de désobligeant dans leur pensée, tout au contraire.

Les trois pouvoirs qu’on avait cru d’abord parvenir à enfermer chacun dans son étroite forteresse constitutionnelle, ne manquèrent pas d’en sortir bientôt. Ils poussèrent tour à tour quelque pointe hardie dans le domaine du voisin, ou essayèrent de s’étendre à ses dépens par des discussions et des chicanes sur la position exacte des limites prescrites. Jackson aurait préféré que chaque pouvoir eût le droit de se les fixer à lui-même[2]. La prétention s’explique de reste. Souvent les interprétations subtiles, soutenues de part et d’autre, rappellent les procès de mur mitoyen. Parfois, le débat prend plus d’ampleur et offre un haut intérêt. La querelle à plusieurs reprises aussi s’est fort échauffée ; un conflit violent paraissait inévitable. Mais d’habitude les adversaires s’abstenaient d’aller jusqu’au bout de leur droit, suivant le principe américain, qui a si heureusement passé de la théorie dans les mœurs politiques. Jamais, du moins, le Congrès ne s’est cru permis de peser sur l’exécutif par le refus absolu et systématique du budget, ou par quelque manœuvre parlementaire du même genre. Aucun des vingt-deux présidens des États-Unis[3] n’a été contraint de se démettre avant l’expiration légale de son mandat. In seul fut mis régulièrement en accusation (impeachment) à l’issue de la guerre civile, alors que toutes les passions surexcitées aveuglaient les esprits et troublaient les consciences. Encore la majorité républicaine recula-t-elle devant sa propre victoire, de peur d’affaiblir les institutions ; le sénat acquitta André Johnson qui, tout accusé qu’il était, n’avait pas cessé un instant de gouverner le pays et d’exercer son droit de veto.

En somme, malgré des oscillations diverses, l’équilibre constitutionnel n’a jamais été rompu. Selon les temps et la valeur des hommes, tantôt le congrès obtient la suprématie, tantôt le président ressaisit l’avantage. Actuellement, l’autorité des chambres démocratiques est quelque peu décriée ; celle de l’exécutif, plus sympathique à l’opinion, semble grandir, sans qu’aucun empiétement

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1888.
  2. On connaît sa maxime favorite : « Chacun des trois pouvoirs interprètes et applique la constitution comme il la comprend, et non comme la comprennent les autres. »
  3. Y compris les quatre vice-présidens qui furent élevés à la présidence par suite de la mort des titulaires.