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gouvernement et l’opposition, sur la presse et les réunions populaires, sur les pouvoirs électifs et mobiles, comme sur les pouvoirs inamovibles et hiérarchiques. On le voit poindre, plus ou moins perverti, jusque dans les abus du système électoral et dans les procédés spéciaux d’une corruption politique qui n’est pas celle de tout le monde.

N’étant d’ailleurs ni discuté ni combattu ouvertement, sauf par les groupes socialistes de date récente et composés surtout d’immigrans, il a rarement rencontré l’occasion d’élever église contre église et d’opposer drapeau à drapeau. Ses titres ne sauraient donc s’établir par rémunération de brillantes batailles rangées qu’il n’a pas eu à livrer encore. Les Américains sont des conservateurs sans le savoir. De même, personne ne se dit royaliste quand chacun l’est sous des monarchies incontestées. Le conservatisme aux États-Unis n’a pas d’histoire spéciale. On ne peut guère en saisir les traits que dans les manifestations quotidiennes de la vie publique, et dans l’ensemble des doctrines, des instincts et des efforts luttant contre les tendances fâcheuses des institutions. Déjà pourtant quelques circonstances importantes lui ont permis de donner sa mesure et de montrer ce que le pays pourrait attendre de son énergie au jour peut-être prochain de l’épreuve définitive.

Il serait superflu de revenir sur le caractère tempéré de la Constitution américaine. Maintes fois on a signalé les nombreux emprunts aux traditions anglaises, les précautions multiples destinées à modérer les uns par les autres tous les détenteurs de la puissance nationale, et les prudens délais concertés pour assagir les ardeurs de la volonté populaire. La difficulté d’amender le pacte fondamental n’est-elle pas un de ses principaux mérites ? Parmi les combinaisons constitutionnelles, celles qui ont le mieux réussi sont les moins démocratiques. Le sénat a vu grandir son autorité aux dépens de la chambre. La magistrature fédérale, nommée et inamovible, qui représente seule le principe de stabilité au milieu des créations éphémères du suffrage universel, est encore considérée aujourd’hui comme la meilleure sauvegarde des droits et des libertés de chacun. C’est son libéralisme conservateur qui a contribué surtout à garantir contre les empiétemens de l’état ou des majorités l’une des plus précieuses clauses de la loi suprême, le respect des contrats. Quant au veto exécutif, imité de la prérogative royale en Angleterre, son efficacité s’est montrée si manifeste pour la protection des vrais intérêts du peuple, que les Américains en ont progressivement étendu l’usage. Confiée d’abord au président de la république et aux gouverneurs des états particuliers, cette arme défensive appartient aujourd’hui dans un grand nombre