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demi-modérés de la Constituante, de la Législative, de la Convention et du Directoire, mais encore il recrute parmi les purs royalistes et les Directoire, mais encore il recrute parmi les purs royalistes et les purs jacobins, parmi les hommes les plus engagés dans l’ancien régime et les hommes les plus compromis dans la dévolution, aux deux extrémités des opinions les plus extrêmes. On vient de voir ses choix à droite et quels favoris héréditaires de l’antique royauté, quels serviteurs nés de la dynastie déchue il élève aux premières dignités de sa cour, de sa magistrature et de son clergé. A gauche, par-delà Chasset, Rœderer et Grégoire, par-delà Fourcroy, Berlier et Réal, par-delà Treilhard et Boulay de La Meurthe, il emploie des hommes flétris ou marqués par de terribles actes, Barère lui-même, du moins pendant quelque temps, et dans le seul emploi dont il soit capable, celui de dénonciateur, gazetier et souteneur de l’esprit public ; à chacun son emploi, selon ses facultés ; à chacun son rang, selon son utilité et son mérite. En conséquence, Barère demeure espion et pamphlétaire à gages ; Drouet, le maître de poste qui arrêta la famille royale à Varennes, devient sous-préfet à Sainte-Menehould ; Jean-Bon Saint-André, qui fut membre du comité de salut public, est préfet à Mayence ; Merlin de Douai, qui fut le rapporteur de la loi contre les suspects, est procureur-général à la cour de cassation ; Fouché, dont le seul nom dit tout, est ministre d’état et duc d’Otrante ; presque tous les survivans de la Convention sont juges de première instance ou d’appel, receveurs des finances, députés, préfets, consuls à l’étranger, commissaires de police, inspecteurs aux revues, chefs de bureau dans la poste, les douanes, les droits réunis ou l’enregistrement, et, parmi ces fonctionnaires du nouveau régime, on compte, en 1808, cent trente et un régicides[1].


VII

Faire son chemin, avancer, parvenir, telle est maintenant la pensée qui domine dans l’esprit des hommes. Avant 1789, elle n’y était pas souveraine, elle y rencontrait des rivales, elle ne s’était développée qu’à demi : elle n’avait pu plonger ses racines à fond, accaparer tout le travail de l’imagination, absorber la volonté, occuper l’âme entière ; c’est que l’air et l’aliment lui manquaient. Sous l’ancienne monarchie, l’avancement était limité, d’abord parce qu’elle était ancienne et que, dans tout ordre qui n’est pas nouveau, chaque génération nouvelle trouve les places prises, ensuite parer que, dans ce vieil ordre fondé sur l’hérédité et la tradition, les

  1. La Révolution, II, 381.