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qu’il y a plus à perdre qu’à gagner : il serait plus digne, plus simple et plus prudent de chercher une solution « impériale[1]. »

Le transport des émigrans chinois en Australie, au Canada, aux États-Unis, est tout entier outre les mains de sujets britanniques. Ce trafic se fait sous le contrôle des autorités britanniques, sous la protection des couleurs britanniques du point de départ au point d’arrivée. Le centre d’où il rayonne est Hong-Kong. De là partent les navires qui vont déverser leur cargaison jaune à Brisbane, Sydney. San-Francisco, Vancouver. C’est une industrie organisée. Les coolies sont enrôlés en Chine, transportés à Hong-Kong : là ils signent des engagemens et sont distribués entre les diverses corporations qui se partagent les colonies[2]. On a lu plus haut la protestation de la chambre de commerce de Hong-Kong contre les entraves apportées à ce trafic par les colonies australiennes. Il est singulier que depuis des années une colonie britannique s’obstine à monder d’immigrans chinois une autre colonie britannique qui s’en veut débarrasser à tout prix. Tout gouvernement, moins désireux que le gouvernement britannique de ne pas « se faire d’affaires » avec ses colonies, eût vu d’emblée que la solution n’était pas à Pékin, mais à Hong-Kong. Il eût choisi, au lieu du rôle commode de spectateur indifférent, celui, plus épineux mais plus digne, d’arbitre impartial, et se fût sans doute épargné un pas de clerc diplomatique.


V

Depuis quelques années, une vague terreur nous vient de l’Extrême-Orient, celle de l’homme jaune ; longtemps nous avions ri de lui, et voilà que nous sentions obscurément que le temps d’en rire est passé. On se mit en Europe à parler un peu en l’air du « péril chinois » comme d’une de ces menaces si lointaines qu’elles flottent encore au pays brumeux des hypothèses et ne viennent pas

  1. Quelle contenance tenir s’il prenait fantaisie au Tsung-li-Yamên de répondre à la note de lord Salisbury par une transposition de ce document, où la prose de l’homme d’état anglais serait simplement démarquée : « La présence des nombreux sujets britanniques qui résident dans quelques villes de la Chine est nuisible, attendu qu’ils ne s’assimilent pas à la population chinoise, qu’ils ne s’établissent que rarement, — on peut même dire jamais, — comme colons définitifs ; que, bien au contraire, ils demeurent essentiellement étrangers dans leurs manières, leurs coutumes, leur religion, et qu’ils retournent en Angleterre après avoir gagné en Chine assez d’argent pour suffire à leurs besoins dans leur pays natal. »
  2. 82,897 émigrans chinois sont partis du port de Hong-Kong en 1887, en augmentation de 18,000 sur l’année 1886. Ces chiffres représentent le total de l’émigration chinoise pour l’année 1887 : tous les émigrans, en quelque lieu du monde qu’ils se rendent, s’embarquent à Hong-Kong.