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sur le territoire britannique, la reine ne s’engage nullement à les y laisser pénétrer en nombre illimité, cette distinction ne saurait être admise. Il n’est question nulle part dans le traité du nombre de Chinois à admettre : ou bien le Chinois a droit à l’hospitalité du sol britannique, ou il n’y a pas droit ? Or la réponse ne peut faire doute. Le même écrivain rappelle au baron de Worms l’article 5 du traité de Nankin, qui, loin d’être caduc, a été fortifié par les traités subséquens. En somme, par trois traités successifs, l’Anglais a voulu « ouvrir » la Chine : il se trouve que la brèche qu’il a ouverte, en même temps qu’elle laisse pénétrer l’Anglais, offre une issue à l’émigrant chinois. Mais l’Anglais avait prévu cette conséquence, elle était même dans ses plans, puisqu’il y a vingt ou trente ans il songeait à protéger l’exode du travailleur chinois contre les résistances que les mandarins pourraient opposer à son départ. Les événemens ont marché depuis : ces traités que l’Anglais avait construits et aménagés pour sa commodité propre lui sont devenus une gêne : cela prouve-t-il en rien qu’ils n’existent plus ? Les Américains qui avaient presque littéralement les mêmes traités que les Anglais n’ont pas du tout les mêmes vues que le baron de Worms sur la réciprocité : témoin les conventions postérieures qu’ils ont signées ; témoin leur tentative diplomatique récente. — Si les Australiens ont il se plaindre d’une invasion d’étrangers pauvres, qu’ils prennent des mesures générales contre l’introduction des gens sans ressources ; mais il ne saurait leur être concédé qu’ils ont le droit de prendre des mesures d’exception contre les Chinois sans violer les traités de Nankin et de Pékin. Quand le prince de Bismarck a voulu éliminer les Français d’Alsace-Lorraine, il s’est mis à l’abri des réclamations de la France en prenant une mesure générale, en réclamant un passe-port de tout étranger sans distinction.

Ce correspondant du Times pourrait être suspect de partialité. Il est bon d’écouter d’autres avis. Or il semble bien qu’il répugne à la grande majorité du public britannique de voir déchirer des traités solennels pour le maigre bénéfice de couvrir les fautes des Australiens. Sans doute, dit-on, ces traités, qui lient aujourd’hui l’empire britannique aussi bien que l’empire chinois, avaient été conclus par nous dans la tranquille assurance qu’ils ne pourraient jamais tourner qu’à notre avantage ; c’était noire traité que nous obtenions ; quant à la Chine, il nous semblait bien que son rôle dût se borner à signer un instrument revêtu des formules généralement en usage entre les hautes parties contractantes. Elle nous joue aujourd’hui le mauvais tour de se prévaloir d’un traité que nous n’avions pas fait pour elle ; il est regrettable que notre haute situation dans le monde ne nous permette pas de faire la sourde oreille. Les convenances s’y opposent.