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II

En passant à l’Australie, nous trouvons que la question se complique : là aussi les Chinois sont venus attirés par l’abondance de l’offre sur le marché du travail ; ils ont rendu des services auxquels l’Européen était impropre ; ils ont prospéré, bon nombre d’entre eux sont retournés en Chine avec leurs économies, et ont été aussitôt remplacés par d’autres ; ils ont su se rendre indispensables en quelque manière ; leur salaire s’élevait, tandis que celui de l’Européen tendait à baisser en proportion. Les intérêts menacés se sont groupés, mis en mouvement : des milliers de voix ont réclamé qu’on délivrât l’Australie de la « peste chinoise. » C’est alors que les choses prennent une autre tournure qu’en Amérique : le sang ne coule pas comme en Californie, mais les gouvernemens prennent des mesures prohibitives énergiques. Ils méconnaissent les traités qui lient la métropole à la Chine ; ils n’ont aucun intérêt direct à ménager l’Empire du Milieu ; les intérêts généraux de l’empire britannique disparaissent devant la nécessité d’apaiser le populaire surexcité. La métropole se trouve alors dans la plus gênante situation, désireuse de ne pas intervenir dans ce qu’elle appelle les affaires intérieures de la colonie, et fort en peine de répondre d’une façon satisfaisante aux représentations de la diplomatie chinoise qui demande l’exécution des traités. Si le gouvernement de Londres est préoccupé d’une part de ne point mécontenter une colonie émancipée, prospère, où grondent déjà des menaces d’indépendance, il sent d’autre part toute la nécessité de maintenir les meilleures relations avec la Chine, où les intérêts britanniques sont nombreux et puissans.

Une étude détaillée de la question chinoise en Australie jettera donc un jour tout particulier sur les rapports de la colonie et de la métropole, ainsi que sur les liens d’amitié qui unissent l’empire britannique à l’Empire du Milieu.

En mai dernier, le public anglais, sans y avoir été préparé le moins du monde, apprit par de laconiques dépêches d’Australie que, cédant à un irrésistible mouvement d’opinion, le gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud avait décidé de mettre un terme à « l’invasion chinoise, » qu’il venait d’interdire à l’Afghan de débarquer ses passagers, venus de Chine sur la foi des traités. La Nouvelle-Zélande devenait la proie des mêmes terreurs : mais, prise de scrupules, elle déclarait tous les ports chinois contaminés, rendant ainsi aux traités cette manière d’hommage que l’hypocrisie passe pour rendre à la vertu. Puis les nouvelles étranges se succédaient : le 16 mai, l’agence Reuter annonçait au monde que sir Henry Parkes, Premier de la Nouvelle-Galles, avait envoyé de la part de son