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l’invasion du Banat, des défaites en Serbie, la révolte des Flandres, tout semblait l’accabler. Joseph II résolut de mander auprès de lui le prince de Ligne et lui donna le commandement de l’aile droite de l’armée qui, sous les ordres de Laudon, assiégeait Belgrade. Les opérations furent menées avec l’activité la plus brillante ; pressé par un chef, qui, dit-il, tient plus du dieu de la guerre que de l’homme, le prince était lui-même tout en feu. « J’étais l’aigle de ce Jupiter dont je portais la foudre. Je remerciais, je priais, je tonnais, je menaçais, j’ordonnais, tout allait, et tout cela dans un clin d’œil. » Belgrade fut prise le 1er octobre 1789 : le général de Ligne voyait avec un grand plaisir militaire et une grande peine philosophique s’élever dans l’air douze mille bombes qu’il avait fait lancer sur les pauvres infidèles ; son fils, cette fois encore, arriva le premier sur la brèche, et lui-même reçut du maréchal Laudon la lettre la plus flatteuse : « Plus de la moitié de la gloire de la prise de Belgrade revient de droit à votre Altesse. » Le prince lui rendit la monnaie de sa pièce en répondant à quelqu’un qui demandait comment il reconnaîtrait le maréchal à la cour : « Allez ! vous le trouverez derrière la porte, tout honteux de son mérite et de sa supériorité. »

Joseph II lui envoya la croix de commandeur de Marie-Thérèse, accompagnée d’une lettre froide et sèche, où il recevait l’ordre de choisir pour quartier d’hiver Essck, Peterwardein ou Belgrade. « Attendez-vous, disait l’empereur, aux preuves de mon mécontentement, n’ayant ni le goût ni l’habitude de me laisser désobéir. » La présence d’un aide-de-camp du prince à Bruxelles, au plus fort de la révolte, avait fait croire qu’il la favorisait. Il n’en était rien. Les chefs du mouvement l’avaient assommé de propositions pour se mettre à leur tête ; il les avait grondés de leur sottise, ajoutant plaisamment « qu’il ne se révoltait jamais pendant l’hiver. » Bien mieux, il avait composé d’avance un discours à la nation Belgique où il parle haut et ferme, et déclare que, si on l’envoie pacifier son pays, il agira en général autrichien, fera enfermer « un archevêque, un évêque, un gros abbé moine, un professeur, un brasseur et un avocat. » Aux menaces de son souverain, il répondit fièrement : « Je suis plus sensible aux grâces qu’aux disgrâces… Je vous demande pardon de n’avoir pas été plus inquiet de votre colère. C’est que je connais encore mieux votre justice… Je n’ai pas douté du retour de ses bontés… Pendant ce temps-là je me vengeais de vous, sire. J’écrivais à la reine de France pour la supplier de vous envoyer le docteur Seyffert, dont le grand talent est de guérir promptement le mal qui fait souffrir votre Majesté. »