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fonctionnement d’assurances libres. Celles-ci cependant ont surgi et n’ont pas cessé de gagner du terrain. Le célèbre économiste allemand Hoscher constate qu’en 1878, les caisses officielles contre l’incendie dans l’empire allemand assuraient pour 25 milliards 641 millions d’immeubles ou de meubles, les sociétés mutuelles libres pour 6 milliards 480 millions, et les sociétés par actions pour 38 milliards 162 millions, soit moitié plus que tout l’ensemble des caisses officielles. Les principaux protagonistes de l’assurance d’état reconnaissent que, sous le régime de la concurrence, les sociétés d’assurances paradions Uniraient par évincer les caisses officielles. Telle est, dans le domaine des affaires, la supériorité naturelle de toute organisation libre, flexible, ouverte aux changemens sur la bureaucratie nécessairement lente et pédantesque de l’état.

Ne pouvant réussir par la persuasion, l’état est revenu, dans quelques pays, à sa vraie nature, la contrainte. Sur ce terrain, il ne craint pas de rival. Il a le monopole de la force, de l’injonction qui ne peut être ouvertement éludée. Sans entrer dans les détails, qui ont été exposes ici tout au long, des lois et des projets de M. de Bismarck[1], il est indispensable à notre sujet d’en exposer les idées générales et d’en juger l’application. Le penchant du grand chancelier de l’empire à un certain socialisme date de loin : ses relations et ses entretiens avec Lassalle, le célèbre agitateur, sont connus. Sous la séduction de ce dernier, partisan des sociétés ouvrières soutenues par l’état, M. de Bismarck avait pensé d’abord à subventionner même largement, en y affectant jusqu’à 100 millions, des sociétés coopératives. Puis ce projet lui parut à la fois trop restreint et d’un succès trop incertain. Le message du 17 novembre 1881, la création du Reichsamt des Innern annoncèrent la nouvelle politique intérieure dont l’incubation prit plusieurs années avant de se formuler dans des plans précis. C’est l’assurance obligatoire qui parut le régulateur de la paix sociale. Mais jusqu’ici ce système d’assurance obligatoire a été très restreint. Il ne s’applique ni à l’incendie, pas même à celui des petits mobiliers, ou des chaumières et des petits immeubles, ni à la grêle, ni à la mortalité du bétail, ni aux naufrages, pas même à ceux des petites barques, ni aux pertes par les transports. Logiquement, l’état allemand devrait finir par s’occuper de toutes ces branches, à l’exception peut-être de la première. Il ne s’est encore chargé que de l’assurance contre les maladies, puis contre les accidens professionnels, enfui, aujourd’hui, il fait discuter un projet de caisses de retraites ouvrières obligatoires, lui fait, ces lois, ou votées ou en cours d’examen, sont loin d’avoir la portée sociale qu’on leur a

  1. voir, dans la Revue du 15 février 1888, l’article M. Grad.