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au fonctionnement de ses services essentiels, rend plus précaire, plus fragile, plus dangereuse sa situation financière. Mais, quand même l’état, ce qui n’est vrai ni de tous ni d’un seul à tous les instans, offrirait cette absolue sécurité que lui attribue si bénévolement M. Wagner, l’expérience prouve qu’une réglementation prudente, par voie législative, des contrats d’assurance, dans la branche vie notamment, procure, sous le régime des sociétés libres, une très haute sécurité relative, qui est suffisante. Il importe de laisser l’homme faire quelques efforts pour atteindre à la sécurité absolue, sinon l’on engourdit son esprit, et tous les actes de la vie civile finissent par se ressentir de cet engourdissement.

Descendant des principes généraux aux détails, le professeur Wagner invoque en faveur de l’assurance par l’état les raisons de fait qui suivent : il y a dans l’assurance libre un grand gaspillage de capital et de travail ; les frais généraux, le nombre des agens, leurs remises, tout cela est excessif. L’état, au contraire, a ses bureaux de poste, ses percepteurs, ses instituteurs, ses agens de police. Il peut recouvrer l’assurance comme un impôt presque sans augmentation de frais. L’opinion publique, ajoute assez imprudemment le théoricien de Berlin, contrôlerait beaucoup plus sévèrement la gestion de l’état et ses combinaisons. On n’aurait plus besoin d’une législation particulière sur les assurances. Puis, le dernier argument, c’est que l’état gérerait les assurances d’une façon plus philanthropique : il abolirait la différence des primes ; il ferait soutenir les faibles par les forts ; l’humble logis, en torchis couvert de chaume, très exposé au feu, ne paierait pas une prime proportionnelle plus élevée que le solide immeuble en pierre de taille et en fer. Les primes ne seraient plus conformes aux risques, ce qui revient à dire que l’ordre naturel serait interverti, que les propriétaires des meilleures maisons paieraient plus que leur part et ceux des maisons inférieures moins que leur part. Le renversement des conditions naturelles, c’est à quoi veut toujours aboutir l’état bienfaisant. Tous ces prétendus avantages de l’assurance d’état sont presque autant de défauts. Sans doute, il peut y avoir quelque exagération de frais généraux et de personnel dans l’assurance privée ; mais le gaspillage y est plutôt apparent que réel. Des agens, dont on juge le nombre excessif parce que, dans chaque chef-lieu d’arrondissement, ils sont une demi-douzaine ou une douzaine, ne vivent pas en général uniquement de leur agence. Celle-ci n’est, pour la plupart d’entre eux, qu’un accessoire : ce sont des commerçans, des employés, des propriétaires, des rentiers qui joignent cette ressource auxiliaire à celles qui leur viennent d’un autre travail ou d’un autre fond. Les règlemens sont plus faciles avec eux qu’avec des agens de police ou des