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individuelle, il n’y a d’intervention légitime de l’état, pour déterminer la durée du travail, qu’en ce qui concerne l’enfant, l’adolescent des deux sexes, la fille mineure. Peut-être pourrait-on y joindre la femme enceinte ou relevant de couches dans les quinze jours qui précèdent et suivent celles-ci, parce que cette femme a la charge d’un autre être humain ; mais cette détermination est très délicate, et il vaut mieux laisser agir les mœurs. Une des plus fatales tendances du législateur moderne, c’est sa prétention à remplacer partout l’influence des mœurs par celle des lois. Même en ce qui concerne l’enfant, la tutelle officieuse de l’état doit être limitée. S’il reporte trop loin dans l’existence l’âge où l’enfant peut commencer à travailler, soit à l’atelier, soit en fabrique, il développe les habitudes de paresse, il réduit outre mesure les ressources de la famille. Dans les classes populaires, sauf pour quelques natures d’élite qui émergent, l’instruction ne peut remplir absolument, avec les seuls loisirs, toutes les heures de la journée jusqu’à quatorze ans. Il est désirable qu’il y ait, à partir de douze ans, quelque labeur manuel, et cinq ou six heures alors de travail de fabrique n’ont rien qui mette en péril soit l’intelligence, soit la santé. Puis, si l’on rend le travail impossible ou difficile à l’adolescence, on proscrit par là-même les familles nombreuses. Un ménage où se trouvent cinq ou six enfans, même seulement trois ou quatre, ne peut régulièrement subsister sur le travail du père, du moins quand les enfans, ayant atteint un certain âge, commencent à consommer davantage. Il faut que, à douze ou treize ans, l’enfant d’une famille nombreuse puisse gagner une bonne partie de son entretien, et à quinze ou seize ans la totalité. On a bien inventé, il est vrai, une théorie en vertu de laquelle les salaires des hommes adultes seraient plus élevés si les enfans et les femmes ne travaillaient pas ; mais cette théorie est toute superficielle, sans aucun fondement ; un examen attentif a démontré que le salaire tend à se régler sur la productivité même du travail de l’ouvrier ; aussi bien, le salaire n’est-il au fond qu’une part dans le produit, et l’ensemble des salaires dans un pays ne saurait rester le même si la production diminuait notablement, ce qui serait le cas si les enfans et les femmes cessaient de travailler dans les fabriques et dans les ateliers. L’interdiction du travail dans les usines avant l’âge de douze ans, la limitation du travail de l’adolescent depuis douze ans jusqu’à quinze ou seize ans, l’interdiction du travail de nuit pour les filles mineures, le repos obligatoire du dimanche pour ces catégories d’ouvriers, voilà tout ce que la loi peut édicter sans faire violence et à la nature des choses et au droit individuel.