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Telle est, en fait d’impôts, l’œuvre de la Révolution. Des deux sources qui, par leur afflux régulier, remplissent le Trésor public et que l’ancien régime captait et conduisait mal, violemment, par des procèdes incohérens et grossiers, elle a presque tari la première, l’impôt direct, et tout à fait tari la seconde, l’impôt indirect. A présent, puisqu’il faut remplir le Trésor vide, il s’agit d’opérer sur la seconde comme sur la première, de la recueillir à nouveau, de l’aménager doucement et sans perte, et le nouveau gouvernement s’y prend, non plus comme l’ancien, en empirique routinier et brutal, mais en ingénieur, en calculateur, en connaisseur du terrain, des obstacles, de la pente, c’est-à-dire de la sensibilité humaine et de l’imagination populaire[1]. Et d’abord, plus de ferme : l’état ne vend plus ses droits sur le sel ou les boissons à une compagnie de spéculateurs, simples exploitans, confines dans l’idée de leur bail temporaire et de leurs rentrées annuelles, uniquement préoccupés de leurs dividendes prochains, attachés sur le contribuable comme des sangsues et invités à le sucer en toute licence, intéressés par les amendes qu’ils touchent à multiplier les procès-verbaux et à inventer les contraventions, autorisés par un gouvernement besogneux qui, vivant de leurs avances, met la force publique à leur service et livre le peuple à leurs exactions. Dorénavant le fisc perçoit lui-même et seul, à son compte ; c’est un propriétaire qui, au lieu de louer, fait valoir, et devient son propre fermier ; partant, dans son propre intérêt, il tient compte de l’avenir, il limite les recettes de l’année courante afin de ne pas compromettre les recettes des années suivantes, il évite de ruiner le contribuable présent qui est aussi le contribuable futur ; il ne prodigue pas les tracasseries gratuites, les poursuites dispendieuses, les saisies, la prison ; il répugne à faire d’un travailleur qui lui profile un mendiant qui ne lui rapporte rien ou un détenu qui lui coûte. De ce chef, le soulagement est immense ; dix ans avant la Révolution[2], on calculait qu’en

  1. Gandin, duc de Gaëte. Mémoires, I, 215-217. — L’avantage de l’impôt indirect est très bien expliqué par Gandin. « Le contribuable ne l’acquitte que lorsqu’il en a la volonté et les moyens. D’autre part, les droits perçus par le fisc se confondant avec le prix de la denrée, le contribuable, en payant sa dette, n’a pensé qu’à satisfaire un besoin ou à se procurer une jouissance. » — Décrets des 16 et 27 mars et 4 mai 1806 (sur le sel), du 25 février 1804, du 24 avril 1806, du 25 novembre 1808 (sur les boissons), du 19 mai 1802, du 6 mars 1804, du 25 avril 1806, du 29 décembre 1810 (sur le tabac.)
  2. Letrosne, De l’administration des finances et de la réforme de l’impôt (1779), p. 148, 262. — Laboulaye, De l’administration française sous Louis XVI. (Revue des cours littéraires. 1864-1865, p. 677.) — « Je crois qu’où prenait au moins 5, sous Louis XIII, et 4 sous Louis XV, pour avoir 2. »