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de l’avenir, la Société nationale mérite deux fois notre sympathie, notre respect et notre reconnaissance.

Quand je dis respect, je vais y manquer pourtant, à ce respect dont je proteste, et j’y ai manqué déjà du fond du cœur, il y a quelques semaines, à l’une des séances de la Société. Quelle soirée, mon Dieu ! On a commencé par un quatuor pour piano et cordes de M. Fauré, violent et monotone, mais non sans intérêt. Le second morceau ne manque pas d’originalité : un trait de piano, qui en fait le principal motif, y est ramené deux fois par des rythmes et des harmonies ingénieuses. Ensuite sont venues deux « ariettes (!!), « paroles de M. Verlaine, musique de M. Debussy, et toute la décadence, toute la déliquescence de la musique et de la poésie nous a paru concentrée dans ces petits chefs-d’œuvre. Ils ont été soupires avec moins de voix que d’intelligence par un des sociétaires nationaux, un jeune homme qui chantait doucement, tristement et donnait à ces complaintes le sentiment navrant qui leur convenait. En revanche, il a interprété un lied réellement très beau de M. Fauré : Au Cimetière, sur des vers de M. Richepin, très beaux également malgré certain : Sommeil vermeil assez risqué. On a bissé cette émouvante mélodie, et c’était justice.

Mais, comme dit la servante de Molière, tout cela n’est rien ; si vous aviez été là pour la musique adaptée à la Tempête de Shakspeare, par M. Chausson ! Cette petite partition a été exécutée pendant les représentations de la fantaisie shakspearienne au théâtre des Marionnettes-Vivienne. Là elle faisait peut-être beaucoup d’effet; salle Pleyel, elle nous a, comment dire... mystifié. Elle est écrite pour un orchestre ainsi composé : un violon, un alto, un violoncelle, une flûte, une harpe (oh! oui, une harpe obstinée) ; plus quelque chose dont jouait M. d’Indy, et qu’on ne voyait pas, enfin un ou une celesta. Le ou la celesta n’est, paraît-il, que le glockenspiel employé par Mozart dans la Flûte enchantée et perfectionné de nos jours. C’est une sorte d’harmonica plus séraphique que la harpe, laquelle apparemment ne suffit plus aux mélodies immatérielles de l’école supra-moderne. Il y a dans cette musique de la Tempête des passages ineffables : notamment un duo de Junon et de Cérès, une danse rustique, des aboiemens de chien, mille détails enfin qui nous ont fait croire d’abord à ce que M. Sarcey appelle une « fumisterie. » Mais comme les exécutans restaient graves, que le public lui-même, au moins la majorité du public ne sourcillait pas et que, depuis lors, des juges compétens nous ont affirmé que l’œuvre était sérieuse et de bonne foi, avouons humblement notre indignité et que l’auteur nous la pardonne.

Hélas! nous craignons de rester longtemps au-dessous d’une telle musique. Elle est très en faveur à la Société nationale, dont le seul travers est un dévouement, presque une dévotion aveugle à certaine école,