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non pas sur leur sincérité, mais sur leur portée. Il fallait qu’elles fussent en effet bien inoffensives, pour que la censure du temps n’y trouvât rien à dire. En réalité, elles visaient plutôt à un changement dans les mœurs qu’à une réforme politique. Au reste, à côté des déclamations ordinaires contre le préjugé de la naissance, nous rencontrons souvent, chez les écrivains politiques, plus de sang-froid et de modération. Ils jugent avec impartialité du rôle que la noblesse devrait jouer dans la nation. Ils la croient nécessaire pour servir de frein au pouvoir absolu. Mais il faut qu’elle justifie ses privilèges par des services réels rendus à l’état. Ses rangs ne doivent pas non plus être absolument fermés. Au moins ne devrait-elle pas avoir la possession exclusive de certaines charges et offices de l’état, comme il arrivait en Hanovre, par exemple, où un officier du plus haut mérite, tel que Scharnhorst, ne pouvait espérer l’avancement auquel il avait droit, et était contraint de chercher ailleurs l’emploi de ses talens. Ces réserves faites, les écrivains reconnaissent presque tous en la noblesse une des forces vives du pays. Ils demandent, non pas qu’on la détruise, mais qu’on lui rende sa raison d’être. La passion aveugle de l’égalité est rare chez l’Allemand. Il perd difficilement le respect de la hiérarchie que le temps a consolidée. En un mot, les publicistes allemands oscillent ici entre les démonstrations des philosophes français, qui affirment, au nom du droit naturel, l’égalité de tous les hommes, et les avantages politiques d’une noblesse telle que la noblesse anglaise, ouverte, active, intelligente et dévouée au bien du pays, — qui était à la vérité le sien propre. Au total, rien de bien net, ni surtout de bien original.

Plus vagues encore et surtout moins fréquentes sont les revendications qui s’élèvent au nom du peuple. Entendez par là les paysans, car il n’y avait encore que très peu d’industrie en Allemagne. Leur condition était presque partout le servage, mais sous des formes diverses. Tantôt le paysan était tenu simplement de demeurer attaché à sa terre et de payer une certaine redevance. Ailleurs, il était soumis à toutes sortes de charges, de corvées et de vexations. En Silésie, par exemple, des troubles assez graves allaient éclater en 1792, et le roi de Prusse, après une répression tour à tour hésitante et cruelle, devait recommander aux seigneurs « d’abuser moins des châtimens corporels sur les paysans. » Joseph II avait aboli le servage dans une partie de ses états. Cet exemple fut suivi par le margrave de Bade, un des meilleurs princes du temps et des plus aimés en Allemagne. Il n’eut pas d’autre imitateur. L’opinion avait accueilli cette mesure favorablement, mais, à ce qu’il semble, sans grand enthousiasme. A cet égard, un