Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les deux arts qui s’adressent à l’ouïe sont : la musique et la poésie. Les arts plastiques sont plus extérieurs ; les arts auditifs sont plus près de l’âme. C’est un débat entre la peinture et la musique. En un sens, la musique est plus sensuelle que la peinture, parce qu’elle par le moins à l’intelligence ; mais, en revanche, elle pénètre plus ayant dans la sensibilité ; et, en ce sens, elle va plus loin, non-seulement que la peinture, mais que la poésie elle-même. La musique est encore, comme les autres arts, un redoublement de la nature. Car la nature a sa voix ; mais à cette voix collective et générale qui est la voix de la nature, l’homme ajoute des modifications variées à l’infini, dont les unes, les modulations, sont le propre de la musique, et les autres, les articulations, deviennent l’origine de la poésie. Ces deux arts se rattachent au temple comme les précédens. La musique et la poésie sont l’une et l’autre religieuses avant de devenir profanes.

La voix, dans la musique, se décompose en deux espèces : la voix des instrumens, qui correspondent au monde inférieur, et la voix humaine. La voix des instrumens n’est d’abord en quelque sorte que la suite de la reproduction de la grande voix de la nature. C’est d’abord la cloche, et puis l’orgue, dont Lamennais décrit la puissance dans la langue la plus magnifique. Puis les instrumens se séparent et se distinguent, pour se réunir plus tard dans une nouvelle unité, qui imite encore, mais en la surpassant, l’unité de la voix universelle : c’est l’orchestre, admirable concours de tous les instrumens. Enfin, l’instrument des instrumens, parce qu’il est à la fois une voix de la nature et un instrument artificiel, c’est la voix humaine. De même que la peinture a à sa disposition deux moyens d’expression, la forme et la couleur, de même aussi la musique dispose de deux moyens, qui sont la mélodie et l’harmonie. La mélodie correspond à la musique vocale, et l’harmonie à la musique instrumentale. La mélodie instrumentale dérive de la voix, comme l’harmonie vocale dérive des instrumens, Lamennais subordonne l’harmonie à la mélodie, comme il a fait plus haut la couleur au dessin. Cependant, le rapprochement est contestable, car il nous semble que l’harmonie correspondrait plutôt au dessin et la mélodie à la couleur. « La musique, dit Lamennais, est une sorte de plastique de l’ouïe. Elle revêt aussi d’un corps l’idée immatérielle, mais d’un corps aérien, impalpable, insaisissable dans son mouvement continu. Aussi, la musique émeut-elle plus qu’elle n’éclaire. C’est un langage indéterminé, qui nous donne non la claire vision, mais l’aspiration et le pressentiment de l’infini. »

La dernière expression de l’art, c’est la parole ; et, sous certaines conditions de mesure, de rythme et de son, c’est la poésie. Lamennais tient à ce que l’on ne confonde pas la poésie et le vers.