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rapport à la pensée, l’autre à la sensation. Plus l’art tend à se spiritualiser, plus il attache d’importance au dessin, et réciproquement. Le coloris doit donc être subordonné au dessin ; autrement l’art s’abaisse. Ce conflit de la couleur et du dessin est éternel. Je ne sais pas si la question est bien posée. Le dessin est un art, et la peinture en est un autre ; l’un est la base de l’autre, mais l’un n’est pas l’autre. Le caractère essentiel et propre de la peinture est la couleur ; tant qu’on s’arrête au dessin, on n’est pas peintre, on est dessinateur ; sans doute, il faut être d’abord dessinateur pour devenir peintre, mais cela ne suffit pas, et cela n’est pas l’essentiel du peintre ; ce n’est qu’une condition. La poésie, par exemple, suppose l’art d’écrire ; et les règles fondamentales (propriété, précision, suite dans les idées, correction, etc.) sont les mêmes pour la prose que pour les vers ; on ne peut être un bon poète sans être un bon écrivain ; mais on peut être un bon écrivain sans être un bon poète. Le caractère essentiel du poète, c’est l’imagination et le rythme. C’est cela seul qui fait le poète ; de même, c’est la couleur qui fait le peintre. Autrement, pourquoi ne pas se borner au dessin tout seul, puisqu’il existe à titre d’art distinct ! « Que n’écrit-il en prose ? »

Pour la peinture, comme pour la sculpture, Lamennais rattache l’origine de l’art à la religion et à ce qu’il api)elle le temple. Il dit peu de chose de la peinture antique, que nous connaissons si peu. Il insiste surtout sur la peinture chrétienne, et sur les deux types fondamentaux de cette peinture, Jésus-Christ et sa mère. Il montre comment au XVIe siècle, la peinture fut une fusion de l’idée chrétienne et de l’art antique. De là la perfection de l’art à cette époque. Il place l’école flamande très au-dessous de l’école italienne.

La sculpture et la peinture sont des arts plastiques qui représentent des formes et qui parlent à la vue. Il y a d’autres arts qui s’adressent à l’ouïe. Mais comme passage entre ces deux classes d’art, il y a un art intermédiaire que nos sociétés modernes considèrent comme inférieur, mais qui primitivement avait une attache immédiate, soit avec le patriotisme, soit avec la religion, et qui par là avait une dignité égale à celle des autres arts. C’est la danse. Et, en effet, si l’art est la reproduction idéale de la nature, nous ne devons pas seulement reproduire la forme et la couleur, mais encore le mouvement. Les trois premiers arts que nous avons signalés sont des arts immobiles. Dans la danse, au contraire, le mouvement est l’objet propre de l’art. Le mouvement a sa forme, comme les objets eux-mêmes : des danses forment des lignes, des courbes, des enchaînemens variés. Ce sont des formes mobiles toujours changeantes. Mais la danse ne se suffit pas à elle-même ; elle a besoin du secours du chant.