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qui en est le brillant et heureux complément ; nous voulons parler de l’esthétique.


III.

L’esthétique est une des parties de l’Esquisse qui ont obtenu le plus de succès, plus peut-être pour la beauté du style et les passages brillans que l’on en peut extraire que pour l’originalité et le fond même des pensées. Dans son ensemble, l’esthétique de Lamennais est idéaliste et platonicienne, comme celle de V. Cousin dans le Vrai, le Beau et le Bien. Comme celle-ci aussi, c’est une esthétique littéraire, plus intéressante par la forme que par l’analyse scientifique. Enfin, les doctrines fondamentales sont les mêmes de part et d’autre. Au point de vue de l’esthétique théorique, c’est-à-dire des principes du beau en général, peut-être le livre de Cousin l’emporte-t-il sur celui de Lamennais. Celui-ci ne s’occupe ni de l’idée du beau au point de vive psychologique, ni du beau dans la nature. Mais pour l’esthétique appliquée, Lamennais reprend l’avantage. Il a peut-être sur les arts plus d’idées originales, et il entre dans un plus grand détail. Souvent cependant son esthétique se confond avec une histoire de l’art.

L’art humain est une imitation de l’art divin, et il se rattache à Dieu par son origine religieuse. C’est de l’idée religieuse que Lamennais fait sortir tous les arts : telle est l’idée mère de son esthétique. De même que le beau réel est Dieu manifesté dans la nature qui lui sert de sanctuaire et de temple, de même le beau dans les arts a son origine dans le temple humain, c’est-à-dire dans la demeure que l’homme a élevée à Dieu. Semblable à la création dont il est l’image, le temple est l’expression de la divinité. Comme la création, il émane de Dieu, et tend à s’étendre, à se dilater pour ainsi dire, afin d’exprimer par la variété l’unité infinie. Le temple, en même temps qu’il représente Dieu, représente aussi l’homme et l’idée que l’homme se fait de Dieu. Le temple doit donc varier selon les diverses conceptions philosophiques et religieuses. Ainsi le temple indien est panthéistique ; le temple égyptien est plein de l’idée de la mort ; le temple chrétien surtout est l’expression de l’idée chrétienne. Lamennais développe cette pensée dans une page d’une merveilleuse poésie : « Symbole de la divine architectonique, le temple chrétien exprime par ses fortes ombres et la tristesse de ses demi-jours la défaillance de l’univers obscurci par la chute. Une douleur mystérieuse vous saisit au seuil de cette sombre enceinte, où la crainte, l’espérance, la vie, la mort, exhalés de toutes