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apporté un esprit d’amertume et de haine qui l’a mis en lutte avec ses semblables de la manière la plus douloureuse pour lui-même, un esprit de pessimisme qui lui fait voir partout des méchans corrompus, se place, au contraire, en philosophie, au point de vue du plus liant optimisme. toutes les misères, toutes les larmes, tous les désordres du monde s’effacent pour lui devant l’idée de l’unité suprême, vers laquelle gravitent tous les êtres, par une ascension continue dont les maux relatifs et provisoires dont nous souffrons sont les degrés. Comment ne s’est-il pas appliqué à lui-même, dans la conduite de sa vie et dans son commerce avec les hommes, la haute placidité dont il fait preuve dans cette page magnifique : « Qu’au lieu de s’abandonner à la tristesse et au découragement, l’homme se réjouisse dans sa destinée, et qu’il bénisse la suprême puissance qui la lui a faite ! Qu’il comprenne que la création n’offre d’autre mal que la limitation sans laquelle son existence serait impossible. Qu’il comprenne que le mal moral, exclusivement propre à l’être individuel, est étranger au tout, que les suites douloureuses de ce mal en préparent le terme ; qu’en vertu de la loi de progression, le bien s’accroît perpétuellement, et perpétuellement aussi le mal s’affaiblit dans l’humanité, du reste à peine naissante. La tâche de chacun est de coopérer à ce progrès, afin de seconder la puissance créatrice dans l’accomplissement de son œuvre, qui, à travers tous les degrés d’êtres, s’approche incessamment du principe de l’être, du terme infini qu’avant tous les temps lui assignèrent la souveraine sagesse et l’éternel amour. »

La question du mal étant l’introduction nécessaire à la science de l’homme, la méthode vendrait que l’on passât à cette science, qui occupe dans l’Esquisse la presque totalité du second volume. Nous devons dire qu’à nos yeux cette seconde partie est loin d’être aussi intéressante que la première. La raison en est dans le dédain et dans l’aversion que Lamennais a toujours professés pour les études psychologiques. Il en résulte, quand il parle de l’homme, et surtout de l’homme intellectuel et moral, un vague qui n’est pas loin de la banalité. Nous craindrions aussi de fatiguer le lecteur en prolongeant trop l’analyse et l’exposition de ces notions abstraites. Faisons remarquer seulement que, dans son anthropologie, Lamennais reste fidèle à son essai de synthèse, et ne sépare jamais l’homme physique de l’homme moral. De là sur l’organisation, sur la maladie, sur ce qu’il appelle l’état extra-naturel (le somnambulisme, le magnétisme), des vues qui ne manquent pas d’intérêt, mais qui cependant ne sont pas assez originales pour nous arrêter ; il suffit d’y renvoyer le lecteur. Passons à une autre partie de l’ouvrage,