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une autre forme dont l’unité complexe les implique comme ses élémens nécessaires ; pareille en cela, dans la mesure de sa limitation, à la forme infinie dont l’unité implique toutes les formes finies. » Il emploie également, pour faire comprendre l’enchaînement et l’emboîtement des formes, l’exemple de la géométrie : « Comme les figures géométriques se combinent de telle sorte que les figures plus simples deviennent élémens de figures plus complexes, où, sans être changées, altérées dans leur essence, elles subsistent absorbées par elles et ramenées à leur unité ; ainsi les formes plus simples deviennent les élémens de formes plus complexes, où elles subsistent absorbées par elles et ramenées à leur unité. » Il en est de même des êtres organisés, avec cette différence que « leur unité d’un ordre plus élevé implique dans sa complexité la coexistence de parties dissemblables dépendantes l’une de l’autre, intimement liées l’une à l’autre, ayant chacune ses propriétés, parce que chacune a dans l’être ses fonctions nécessaires, qu’il ne subsiste que par le concours et l’harmonie de ces fonctions diverses, comme ces parties ne subsistent elles-mêmes que par leur mutuel enchaînement dans la forme supérieure qui les ordonne et les dirige. »

Cette théorie des formes essentielles et substantielles a contre elle la théorie des milieux, d’après laquelle, selon Lamarck et plusieurs naturalistes, les formes ne seraient que les résultats des actions extérieures et de milieux environnans. Lamennais combat très fortement la théorie des milieux[1] ; et aujourd’hui même cette critique peut être encore opposée avec avantage aux défenseurs exagérés de cette théorie : 1° Les milieux ne peuvent être cause de la variété ; car ils la supposent : si le milieu, en effet, est cause de la diversité, d’où vient la diversité des milieux ? 2° Cette théorie confond le mode de production avec la cause productrice. De ce qu’un être ne peut naître que dans l’eau, il ne s’ensuit pas qu’il soit produit par l’eau. 3° Il ne devrait y avoir qu’un seul et même type dans chaque milieu ; or dans des milieux identiques, par exemple dans la mer, il y a des myriades de formes différentes, 4° Ce type serait alors quelque chose de passif, tandis qu’il est actif, puisque le germe ne produit qu’un être de la même espèce. 5° L’idée d’un type unique indéfiniment modifiable est la négation de toute espèce de type : ce serait la forme infinie prise en soi ; mais c’est précisément le contraire du système, suivant lequel, au contraire, rien n’est déterminé, et tout est sans forme. 6" Sans doute le milieu agit, comme

  1. On peut comparer cette discussion à celle d’Aug. Comte, très opposé également à la théorie des milieux. (Cours de philosophie positive, 42e leçon.)