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naissance, leur éducation, les traditions de leurs familles avaient faites royalistes et catholiques, l’idole était renversée, le temple profané. Aussi désireuses que leurs pères, leurs maris, leurs fils et leurs frères de quitter une patrie où le passé s’écroulait, elles les suivirent, apportant sur la terre lointaine où ils cherchaient un asile un élément autre, un facteur nouveau.

Par un seul côté, les procédés de colonisation sont identiques au nord et au sud. Le trait distinctif de la race persiste. Pas plus au sud qu’au nord, le groupement n’est volontaire ; le planteur de la Virginie s’isole dans sa plantation comme le colon de la Nouvelle-Angleterre dans sa ferme. À lui aussi il faut de vastes espaces à défricher et à planter. Ce n’est que plus tard, quand cette première période d’établissement est révolue, que l’instinct de sociabilité, créé et développé en lui par la vie des cours et des camps, se réveille et reparaît. Mais au début il lui faut, comme en Angleterre, son domaine, villa ou château, des terres, un peuple de domestiques et de tenanciers qui n’existe pas, mais qu’il remplace par des esclaves. Du nord au sud, l’esclavage est toléré, pratiqué ; mais il s’étend au sud bien autrement qu’au nord. Le colon puritain l’accepte, toutefois avec répugnance, comme un instrument de travail, mais limité et restreint. Il en redoute le contact pour les siens, la tentation despotique pour lui-même. Sa conscience le condamne ; il lui préfère le travail libre, et, dans son climat rude, le genre de culture le comporte. Il n’en est pas de même dans le sud : aux plantations de tabac il faut de nombreux esclaves, à la maîtresse de maison une nombreuse domesticité.

Le tabac n’est pas seulement un produit, mais aussi une monnaie ayant cours. Les salaires, les achats, les taxes même se paient en tabac, et, une fois l’an, des navires anglais viennent le charger pour le transporter en Angleterre, apportant en échange les articles que réclament les colons. Différence de traditions, de climat, de culture, de mode de vie, identité d’origine et d’instincts, voilà ce qui frappe tout d’abord dans ces deux émigrations distinctes, ayant même point de départ et même point d’arrivée. Le colon royaliste et virginien a emporté avec lui les débris de sa fortune ; il a importé ses traditions, ses idées, ses espérances. Tout grand seigneur ou cadet de famille qu’il soit, il est Anglais, comme tel doublé d’un homme d’affaires qui sait compter, habitué à faire valoir son domaine, à administrer et à gérer de grands intérêts ; et sur ce nouveau continent, où le sol encore sans valeur est d’une inépuisable fécondité, il édifie promptement une fortune nouvelle. Ne jouit-il pas d’un monopole de fait : le tabac, recherché en Europe, qu’il produit à bas prix et vend cher, que l’esclave cultive,