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jour où le settlement, plus nombreux et plus prospère, peut enfin construire une modeste demeure que l’on appelle la chapelle, et subvenir, en nature, à la subsistance et à l’entretien d’un pasteur. Parfois plusieurs settlements n’y suffisent qu’en s’unissant. À tour de rôle le pasteur choisi, élu par les chefs de famille, visitera chacune des localités, y célébrera le service. N’importe, ce jour-là le settlement a un centre. Autour de la modeste chapelle surgira un village, puis un bourg, enfin, peut-être, une ville. Dieu paraît : l’homme accourt.

Dans la plupart des cas, c’est la femme qui a appelé Dieu ; non que l’homme soit indifférent, mais il sait mieux compter et moins prévoir. Il doute de ses ressources et de celles de ses voisins ; il hésite devant les difficultés à surmonter et les responsabilités à prendre. C’est elle qui le persuade, qui lui montre les enfans grandissant, l’utilité du culte public, la nécessité d’aviver et d’entretenir la foi par un enseignement partant de plus haut et portant plus loin que le leur. Autant que lui elle a la foi, mieux que lui elle a la prescience.

Après le temple, l’école, et il lui semble qu’elle n’aura plus rien à désirer. Lui et elle ont pourvu au pain quotidien ; ils ont donné ce qu’ils ont pu : le fruit de leur travail, qui soutient la vie ; ils ont entretenu, conservé en leurs enfans et en eux le sentiment religieux qui leur a fait tout quitter, tout sacrifier, s’expatrier ; il leur reste à donner à ceux appelés à leur survivre l’instruction telle qu’ils l’ont reçue, cette instruction primitive, il est vrai, mais qui a fait d’eux des êtres libres, croyans et pensans. Et ce nouveau problème est résolu, comme le premier. Au point de jonction de plusieurs settlements s’élèvera l’école, modeste cabine que l’on construit en commun, où l’on appelle un instituteur peu savant, mais capable d’enseigner à lire, écrire et compter à cette jeune génération qui ne peut guère encore consacrer qu’un petit nombre d’heures à acquérir ces connaissances indispensables.

Singulière éducation et singulières écoles que celles-là ! Garçons et filles les fréquentent aux mêmes heures et prennent part aux mêmes leçons. C’est là, dans ce milieu quelque peu rude et grossier, que va s’ébaucher la femme de la génération suivante. Rude et grossier, il l’est ; mais, en dépit des procédés d’une pédagogie rudimentaire, d’une promiscuité qui choque nos idées, l’influence civilisatrice va se révéler et s’affirmer, développant dans ces corps et ces cœurs d’enfans astreints aux rudes labeurs des champs l’instinct chevaleresque qui sommeille, le respect de la femme qui s’éveille et qui, plus tard, justifiera l’axiome américain : « Aux États-Unis, la femme est reine. »

Cette royauté que l’avenir lui réserve, la femme du Nord ne la