Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux classes, sinon riches, à tout le moins moyennes et aisées. Originaires, pour le plus grand nombre, de Boston et de Dorchester, ils donnèrent à leurs premiers settlements les noms de leurs localités d’origine, Boston et Dorchester, débutant dans leur vie nouvelle par un acte de foi : une prière en commun sur la plage, en débarquant, puis par un acte de patriotisme : le souvenir de la mère patrie s’incarnant dans les noms de leurs primitifs villages et dans celui de Nouvelle-Angleterre, dont ils baptisèrent leur patrie adoptive.

À quelques pas de la plage commençait la forêt. Interminable et profonde, elle s’étendait au nord jusqu’aux rives majestueuses du Saint-Laurent et aux frontières du Canada, à l’ouest jusqu’aux grands lacs inconnus de l’Ontario, de l’Érié et du Michigan, jusqu’aux riches prairies de l’Ohio, de l’Indiana et de l’Illinois, que deux Anglais, George Flower et Maurice Birbeck, devaient découvrir un siècle plus tard. Avec la hache et le feu, les colons pratiquèrent de vastes trouées dans la forêt, élargissant les clairières, utilisant le bois pour construire leurs demeures, défrichant le sol. Ils apportaient avec eux les outils nécessaires, les semonces pour l’avenir, les approvisionnemens pour le présent. C’était la vie rude du pionnier, non la misère du colon indigent.

Les hommes construisaient, labouraient et plantaient ; les femmes vaquaient aux travaux domestiques, préparant le pain et réparant les vêtemens, jusqu’à ce que le soir venu réunît la famille autour du repas commun suivi d’une prière commune, de la lecture de la Bible, d’une exhortation religieuse du père et d’un acte d’actions de grâces. Vie simple et saine, remplie par le travail et la religion, ne laissant place ni aux vains regrets ni aux vaines rêveries ; vie calme et sérieuse, mais non monotone et vide, tenant l’esprit toujours en éveil, le corps toujours en action. L’aisance croissante, chaque confort nouveau conquis par la prévoyance et le labeur, la nécessité d’apprendre et d’exercer tous les métiers, d’être à la foi architecte et constructeur, éleveur et fermier, bûcheron et menuisier, trappeur et chasseur, de pourvoir à tout et de constater chaque année un progrès nouveau, une extension du domaine, un accroissement de la récolte, un plus grand nombre d’animaux, une prospérité grandissante, encourageaient et récompensaient leurs efforts.

La Nouvelle-Angleterre se peuplait ; les émigrans n’avaient rien à redouter des Indiens, peu nombreux sur la côte, bien disposés et louant volontiers leurs services. De 1630 à 1640, vingt mille colons traversèrent l’Atlantique, tous Anglais et protestans sincères ; les femmes n’étaient ni les moins convaincues ni les moins intrépides. Dans l’évolution religieuse qui lit passer l’Angleterre du catholicisme au protestantisme, la femme eut un rôle important ;