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Ce sont ces Polonais, frappés officiellement comme étrangers, qu’on prétend astreindre à ne parler à Dieu que dans la langue du tsar. Il y a là un manque de logique. Si l’on veut nous traiter en Russes, qu’on commence, peuvent-ils dire, par nous relever des incapacités civiles qui pèsent sur nous. Or le gouvernement d’Alexandre III a fait tout l’opposé. Alexandre II avait enlevé aux catholiques polonais des provinces occidentales le droit d’acheter des terres ou d’en louer à bail. Ces lois de son père, qui n’avaient profité qu’aux Allemands, Alexandre III, au lieu de les adoucir, les a aggravées par l’oukaze de décembre 1884 (janvier 1885). Dans toute la Russie occidentale, pour pouvoir acquérir un immeuble rural par vente, legs ou donation, il faut être Russe, et n’est considéré comme Russe que l’orthodoxe.

Ce que garantit à ses sujets tout gouvernement moderne, l’égalité civile et le libre accès aux emplois publics, les catholiques, comme les juifs, en sont privés, en fait sinon en droit. Là où la porte ne leur est pas fermée, ils ne franchissent guère les degrés inférieurs de la bureaucratie. Bien peu parviennent à s’élever. Si un catholique, comme M. de Mohrenheim, est nommé ambassadeur, il est d’origine étrangère. En certains ressorts, dans le plus important au point de vue religieux, dans l’instruction publique, l’exclusion des catholiques est poussée aux dernières limites. On a décidé, sous Alexandre III, de n’admettre comme instituteurs dans les provinces occidentales, là même où ils sont en minorité, que des orthodoxes. Non content de repousser les catholiques des fonctions publiques, on s’attache à leur barrer l’accès des carrières privées. C’est ainsi, dit-on, que l’administration a demandé confidentiellement à des directeurs de chemins de fer le relevé de leurs employés par religion, les accusant d’occuper trop de catholiques ou trop de juifs, et les prévenant qu’ils s’exposaient, par là, à perdre ses bonnes grâces. Il a été question d’interdire tout emploi dans les chemins de fer aux non-orthodoxes ; si cela ne s’est pas fait par oukaze, cela se fait peu à peu sous la pression administrative. La manière de faire le signe de la croix reste l’indice de la nationalité.


VI.

À côté des catholiques reconnus comme tels, il y a ceux que le gouvernement considère, malgré eux, comme orthodoxes. Leur position est lamentable. L’exercice de leur religion leur est absolument défendu. Qu’on pense ce que signifie pour un catholique la privation du prêtre qui seul peut lier et délier ! De ces pseudo-orthodoxes,