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appartiennent à la grande église arménienne, dite grégorienne, de saint Grégoire l’Illuminateur, qui, au IVe siècle, lui donna sa constitution et sa liturgie. Au sommet de la hiérarchie trône le cent quatre-vingt-deuxième successeur de l’illuminateur, investi du titre de catholicos. Ce pontife suprême, dont relève tout le clergé arménien non uni, a son siège au couvent d’Etchmiadzin, sur les pentes légendaires de l’Ararat. L’empereur Nicolas a eu soin d’enlever à la Perse le centre traditionnel de l’église arménienne. En tenant dans ses serres la tête de la hiérarchie, l’aigle russe tient tout le corps de la nation.

La possession de l’humble Vatican arménien soumet les Haïkanes du dehors à une sorte de vasselage religieux de la Russie. Il y a là, en petit, un problème analogue à celui soulevé à Rome par la chute du pouvoir temporel des papes. Le gouvernement russe l’a tranché à son profit. Il a réglé la situation du catholicos par les statuts de 1836, sorte de loi des garanties que les arméniens sont contraints de subir en fait, tout en la contestant en droit[1].

D’après la tradition, le catholicos doit être élu par les députés de tous les diocèses arméniens du monde. Le gouvernement impérial préside à l’élection, et il ne s’est pas contenté de réglementer, à sa guise, les votes des diocèses, admettant les uns, annulant les autres ; au lieu de faire proclamer, conformément aux canons, le prélat qui a obtenu le plus grand nombre de voix, le tsar s’est arrogé le droit de substituer à l’élu de la majorité le prélat qui réunit ensuite le plus grand nombre de suffrages. Les polojèniia considèrent l’élection des diocèses comme une simple présentation de candidats, entre lesquels l’empereur se réserve de désigner le catholicos. Qu’on imagine le roi d’Italie choisissant le pape entre les deux cardinaux auxquels le conclave a donné le plus de voix. Avec ce système, la Russie est assurée d’avoir sur le siège d’Etchmiadzin un pontife à sa dévotion. Nicolas Ier et Alexandre II avaient toujours accepté l’élu de la majorité. Alexandre III a rompu avec cet usage, en 1885 ; il a donné la chaire d’Etchmiadzin au candidat de la minorité. Le catholicos est ainsi devenu un dignitaire russe à la nomination du tsar. Les arméniens non-russes, qui sont les plus nombreux, ont eu beau protester contre les statuts de 1836 et l’élection de 1885, force leur a été de s’y résigner. Pour s’y soustraire, il leur eût fallu nommer un anticatholicos : il ont reculé devant un schisme qui déchirerait l’unité de leur église.

Le mode d’élection du pontife suprême n’est pas la seule altération

  1. Ces statuts (polojéniia} sont ce que les Arméniens de Turquie appellent, par corruption, le balagénia russe.