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bouddhisme ; il s’attaque, avec non moins d’ardeur, au judaïsme, au protestantisme, au catholicisme. C’est même dans ses campagnes contre les autres églises chrétiennes, là où la civilisation n’a rien à gagner, que la propagande orthodoxe s’exerce avec le plus de passion.

Un évêque russe a dit : « Nos cloisons confessionnelles ne montent pas jusqu’au ciel. » Ce n’est point de cette maxime que s’inspirent les maîtres de la Russie. Il est vrai que leur zèle orthodoxe s’inquiète moins du ciel que de la terre. C’est par politique que les tsars refusent de laisser chacun faire son salut par le chemin qui lui plaît. Les Russes ont, pour aller au paradis, une route impériale, large, unie, bien sablée, une « chaussée » tirée au cordeau et passée au rouleau, bordée de fossés profonds et de hautes palissades, de façon que, une fois entré, on ne s’en puisse écarter. Il reste bien des chemins parallèles, officiellement classés ; mais ils sont mal entretenus, ravinés, à demi défoncés ; on n’en permet l’usage qu’aux riverains. Tels sont, comparés à l’église dominante, les cultes étrangers.


III.

Aux relations de l’État avec l’église orthodoxe, comparons ses relations avec les autres cultes de l’empire. Rien ne montre mieux ce qui, dans la constitution de l’église dominante, est le fait de la religion et ce qui est le fait de la politique. Comme l’église nationale, les cultes dissidens sont soumis au principe qui régit tout en Russie : l’autocratie. Aucune confession ne peut se soustraire à la loi commune ; les clergés n’y échappent pas plus que les autres classes. Le souverain ne s’arroge guère moins de droits vis-à-vis des confessions auxquelles il est étranger que vis-à-vis de l’église à laquelle il appartient. La grande différence, c’est que, par son esprit et ses traditions, l’orthodoxie s’accommode plus facilement de cette nécessité et que, pour l’église nationale, la tutelle de l’état est une protection en même temps qu’une servitude.

Le gouvernement tend à donner à tous les cultes de l’empire une organisation analogue à celle de l’église orthodoxe. Chez tous il aime à transporter les formes bureaucratiques imposées à l’église dominante. Il y trouve double profit : c’est, d’abord, de leur donner un gouvernement intérieur russe, indépendant de l’étranger ; c’est, ensuite, d’en centraliser les affaires pour les mieux tenir sous sa main. Cela est surtout sensible pour les confessions chrétiennes. Les catholiques, les arméniens, les protestans ont dû se plier aux pratiques administratives russes. Dans chaque confession se rencontre, sous des désignations diverses, au-dessus de la hiérarchie propre