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La liturgie grecque est ainsi célébrée en tatar, en tchouvache, en tchéremisse, en mordve, en votiake, en bouriate, en yacoute, en toungouze, en samoyède. Pour les traductions en langues orientales, la confrérie de Saint-George et les missions de Kazan rivalisent avec la Société biblique de Londres. En même temps, les missionnaires se sont mis à fonder des écoles parmi ces allogènes. Voilà les véritables procédés de propagande. C’est par là, par l’enseignement et la prédication, que de tant d’idolâtres baptisés la Russie fera des chrétiens.

Les missionnaires russes ont déjà prouvé qu’ils savaient, à l’occasion, se passer de la contrainte et des séductions temporelles. Leurs ambitions évangéliques ont parfois dépassé les limites de l’empire. Nous ne parlons pas ici des efforts tentés pour détacher de Rome les Slaves catholiques d’Autriche ou de Turquie. C’est là une entreprise toute politique ; le journal et les subsides des comités moscovites y ont plus de part que la prédication[1]. Mais des Russes ont essayé de porter l’évangile aux Chinois, aux Coréens, aux Japonais. En Chine, malgré les relations des deux peuples, la mission de Pékin n’a eu que des résultats insignifians. Avec les Coréens, les missionnaires russes ont été plus heureux ; mais la plupart de leurs convertis coréens sont des colons établis en territoire russe. C’est au Japon que la propagande orthodoxe a eu le plus de succès ; le Japon a été la gloire de l’église russe. Elle y a établi un évêque ; elle y comptait, en 1888, 12,000 ou 15,000 prosélytes, possédant près de 200 oratoires et un séminaire avec plus de 100 élèves. Malheureusement, la prospérité de cette colonie religieuse a été menacée par des différends entre les maîtres européens et les néophytes indigènes.

L’Occident n’a peut-être pas le droit de se montrer sévère pour les pratiques d’évangélisation adoptées chez elle par la Russie : la moitié de l’Europe chrétienne a été convertie par des procédés analogues. Il est vrai qu’il y a de cela quelque mille ans ; mais, en dépit du calendrier, mainte contrée des deux versans de l’Oural en est toujours au IXe ou au Xe siècle. Pour nombre de tribus ouralo-altaïques, la civilisation européenne n’a guère d’autre porte que le christianisme. Aussi, tout en réprouvant toute atteinte à la liberté de conscience, ne saurions-nous nous scandaliser de voir la Russie encourager la diffusion de l’évangile. Mais le prosélytisme russe ne se borne pas à cela ; il ne s’en prend pas seulement au paganisme inculte ni même aux religions déjà cultivées, à l’islamisme, au

  1. La politique n’était pas non plus étrangère à la mission du cosaque Atchinof et de l’archimandrite Paissi chez les Abyssins. On paraît, du reste, affecter, à Pétersbourg et à Moscou, de regarder ces jacobites ou monophysites éthiopiens comme des coreligionnaires qu’on n’a qu’à ramener à la pureté du culte orthodoxe.