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en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les prêtres en Italie. Si je gouvernais un peuple de juifs, je rétablirais le temple de Salomon. Aussi je parlerai de liberté dans la partie libre de Saint-Domingue; je confirmerai l’esclavage à l’Ile de France et même dans la partie esclave de Saint-Domingue, en me réservant d’adoucir et de limiter l’esclavage là où je le maintiendrai, de rétablir l’ordre et de maintenir la discipline là où je maintiendrai la liberté. C’est là, je crois, la manière de reconnaître la souveraineté du peuple. » — Or, en France, à cette époque, il y a deux groupes manifestes de désirs prépondérans, l’un qui date de dix ans, l’autre qui date d’un siècle et davantage : il s’agit de les contenter, et le prévoyant constructeur, qui évalue juste leur portée, combine à cet effet les proportions, l’aménagement, la distribution, toute l’économie intérieure de son édifice.


II.

Le premier de ces deux besoins est urgent, presque physique. Depuis dix ans, le gouvernement ne fait plus son office, ou fait le contraire de son office; tour à tour ou à la fois, son impuissance et son injustice ont été déplorables ; il a commis ou laissé commettre trop d’attentats contre les personnes, les propriétés et les consciences ; en somme, la révolution n’a été que cela, et il est temps que cela finisse. Sûreté et sécurité pour les consciences, les propriétés, les personnes, voilà maintenant le cri unanime qui vibre le plus haut dans tous les cœurs[1]. — Pour l’apaiser, bien des nouveautés sont requises : d’abord la concentration politique et administrative qu’on a décrite, tous les pouvoirs du centre rassemblés dans la même main, tous les pouvoirs locaux conférés par le pouvoir du centre, et, pour exercer ce pouvoir suprême, un chef résolu, d’une intelligence aussi haute que sa place; ensuite, une armée régulièrement payée[2], soigneusement équipée, suffisamment

  1. Stanislas Girardin, Mémoires, I, 273 (22 thermidor an X) : « La France, agitée pendant plusieurs années, n’a plus qu’un besoin, qu’un sentiment, le repos. Tout ce qui pourra le lui garantir aura son assentiment : ses habitans, accoutumés à se mêler activement à toutes les questions politiques, paraissent aujourd’hui n’y mettre aucun intérêt. » — Rœderer, III, 484. (Rapport sur la sénatorerie de Caen, 1 décembre 1803.) « Le peuple des campagnes, concentré dans ses intérêts... est profondément soumis, parce qu’il a maintenant sûreté pour les personnes et les propriétés... Il ne s’exalte pas en louanges pour le monarque, mais il est plein de respect et de confiance pour un gendarme, il s’arrête sur les chemins pour le saluer. »
  2. Rocquain, l’État de la France au 18 brumaire. (Rapport de Barbé-Marbois, p. 72, 81.) Violation des caisses; propos de quelques officiers : « Les richesses et la fortune sont pour les braves; prenons : on trouvera nos comptes à la bouche de nos canons. » — « les subalternes, ajoute Barbé-Marbois, bien instruits que leurs supérieurs puisent dans le trésor public, leur font la loi pour avoir part au butin; habitués à faire contribuer les ennemis du dehors, ils ne seraient pas éloignés de traiter en pays conquis les départemens qu’ils sont chargés de défendre. »